Le tribunal judiciaire de Bobigny a condamné la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis ainsi que la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM), jugées responsables d’avoir illégalement refusé la prise en charge de soins liés à la transition de deux hommes trans.
À l’origine du litige, des refus successifs de remboursement s’appuyant sur un protocole médical obsolète, datant de 1989. Celui-ci imposait un encadrement rigide — deux ans de suivi par un trio de professionnels de santé (psychiatre, endocrinologue, chirurgien) — pour accéder à des actes médicaux comme la mastectomie. Pourtant, ce cadre n’a plus de valeur légale depuis plusieurs années. Le tribunal a estimé que ces conditions arbitraires allaient à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’homme, en créant une barrière discriminatoire pour les personnes transgenres dans leur accès aux soins.
L’un des assurés concernés avait pourtant obtenu, dès 2020, la reconnaissance de sa dysphorie de genre en affection longue durée (ALD), ouvrant droit à une couverture intégrale de ses traitements. Malgré cela, la CPAM avait refusé de prendre en charge les frais de sa mastectomie bilatérale, réalisée en 2021. Une décision d’autant plus incompréhensible qu’elle contredisait l’accord initial sur la pathologie. La juridiction a donc ordonné le remboursement de l’intervention, chiffrée à plus de 5 300 euros, et accordé 3 000 euros de dommages et intérêts à chacun des deux plaignants pour le préjudice subi.
Le second dossier concernait le refus pur et simple de reconnaître l’ALD, privant l’assuré de la prise en charge complète de ses soins. Le jugement a là aussi tranché en faveur de l’assuré, mettant en lumière une autre faille : les différences de traitement selon les territoires.
« Cette décision acte la reconnaissance juridique d’un traitement discriminatoire lié à la transidentité », a réagi Me Laura Gandonou, avocate des deux hommes. Pour elle, c’est une avancée significative vers la fin d’une « inégalité territoriale absurde, où les droits fondamentaux dépendent du code postal ».
Ce n’est pas un cas isolé. En mai dernier, le tribunal de Strasbourg a condamné la CPAM du Bas-Rhin dans une affaire similaire. Me Gandonou représente actuellement six autres personnes trans ayant engagé des recours contre différentes caisses locales, à Lyon, Cahors, Toulouse et Grenoble. Toutes dénoncent des refus de soins systématiques sur des bases illégales.
Au-delà de ces victoires individuelles, c’est l’organisation même du système de santé publique qui est interpellée. Tant que les CPAM conserveront une marge d’interprétation aussi large sur les protocoles de prise en charge, les parcours de transition resteront semés d’embûches. Pour les associations droits LGBTQIA+, ces décisions judiciaires envoient un message clair : la transphobie n’a pas sa place dans les services publics, et encore moins dans un système de santé fondé sur la solidarité.