Alors que la proposition de loi visant à réparer les condamnations pour homosexualité prononcées entre 1942 et 1982 arrive enfin à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale (discussion en commission des lois le 15 décembre, puis examen en séance dans les jours suivants), le refus répété du ministère de l’Intérieur de communiquer des archives policières suscite de vives inquiétudes. Pour les chercheurs comme pour les associations LGBTQIA+, ce blocage n’a rien d’un simple aléa administratif : il menace la possibilité même d’un travail historique sérieux, pourtant indispensable à toute politique de réparation crédible.
Le cas du chercheur Antoine Idier, décrit dans une tribune publiée par Libération, en est la preuve la plus frappante. Depuis 2024, il demande l’accès à 75 dossiers de police conservés aux Archives nationales, portant sur des affaires de répression de l’homosexualité dans les années 1950-1960. Plus d’un an après sa demande, le ministère n’a toujours pas répondu. En mai 2025, la notification reçue précise que « son silence vaut refus ». Cela intervient alors que la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a rendu un avis favorable, estimant que la consultation « ne serait pas de nature à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger ». Malgré cela, le ministère reste silencieux, forçant le chercheur à saisir le tribunal administratif, avec un délai d’instruction d’environ douze mois.
Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. L’accès aux archives françaises, notamment celles liées à la police, aux questions sécuritaires ou aux violences coloniales, est régulièrement entravé. Le ministère de l’Intérieur est souvent accusé d’entretenir une culture de la rétention, fondée sur une vision très large des « intérêts à protéger » et une méfiance envers la transparence.
S’agissant de la répression de l’homosexualité, cette opacité a des conséquences particulièrement graves. L’histoire de ces décennies de surveillance, de fichage, de rafles et de poursuites reste largement méconnue, alors que plusieurs dizaines de milliers de personnes auraient été condamnées entre 1942 et 1982 selon les estimations discutées au Parlement. Or de nombreux documents essentiels restent inaccessibles, ralentissant considérablement le travail des historiens.
La proposition de loi, engagée depuis 2022, a déjà été affaiblie : champ réduit, dispositifs limités, absence d’indemnisation. L’arrivée du texte à l’agenda parlementaire était attendue depuis des mois. Pour Antoine Idier, cet ensemble de restrictions, ajouté à la difficulté d’accéder aux archives, « vide de sa substance la possibilité d’une réparation ». Une partie du travail scientifique, notamment sur le rôle de la police, n’a même pas été prise en compte lors des débats précédents.
Pour STOP homophobie, engagée de longue date sur la reconnaissance des violences institutionnelles subies par les personnes LGBTQIA+, l’accès aux archives est indispensable. Sans documents, pas de récit fiable. Sans récit fiable, pas de réparation sincère. La France ne peut pas reconnaître une injustice tout en bloquant l’accès aux sources qui permettraient d’en mesurer la portée et d’en tirer les leçons.
D’autres pays ont fait des choix plus ambitieux. L’Allemagne, le Canada ou encore la Nouvelle-Zélande ont ouvert leurs archives, reconnu la responsabilité de l’État et mis en place des mécanismes de réhabilitation ou d’indemnisation. Leur principe est clair : pour rendre justice, il faut d’abord dire la vérité.
Déjà en 1794, la loi rappelait que « tout citoyen pourra demander […] communication des pièces ». L’exigence reste la même aujourd’hui : pour que la réparation ait du sens, il faut pouvoir consulter les archives, comprendre l’histoire et redonner un nom et un visage à celles et ceux qui ont été condamnés parce qu’ils étaient homosexuels. Comme le rappelait Antoine Idier, « comment la France peut-elle prétendre réparer si l’accès aux archives est refusé, et si l’établissement d’un récit historique est entravé ? »

















