Psychanalyse : Selon Sigmund Freud, « Condamner l’homosexualité comme un crime est une véritable injustice — et un acte cruel. »

Entre sa théorie de la libido et ses études sur la sexualité infantile, Sigmund Freud avait acquis, dès 1920 et ses Trois essais sur la théorie sexuelle, une solide réputation en matière de diagnostic. Et recevait régulièrement des patients atteints de névroses et autres troubles psychiques, qu’il était alors possible de mettre en relation avec un refoulement de pulsions. En 1935, une mère inquiète demande son aide, pour « traiter » l’homosexualité de son fils…

jjjhkkToujours prompt à repérer les formes de lapsus, peut-être encore plus facilement à l’écrit, le psychanalyste commence par détourner la demande de diagnostic de la mère :

« Je crois comprendre dans votre lettre que votre fils est homosexuel. Je suis très surpris que vous n’utilisiez pas ce terme vous-même dans la description que vous me faites de lui. Puis-je vous demander pourquoi vous évitez de l’employer ? »

Fournissant tout de même une réponse à la mère inquiète, Freud souligne que la perception sociale de l’homosexualité n’en fait « assurément pas un avantage », mais précise d’emblée qu’elle n’est « pas une honte, un vice ou une tare, elle ne peut pas être considérée comme une maladie, nous la considérons comme une variation sexuelle, due à une certaine orientation du développement sexuel ».

Freud lui cite ensuite quelques exemples d’autorité en matière de sexualité, comme Platon ou Léonard de Vinci, histoire de faire comprendre à la mère que l’homosexualité n’est pas synonyme de dysfonctionnement interne, avant d’ajouter : « Condamner l’homosexualité comme un crime est une véritable injustice — et un acte cruel. »

Il fait ensuite référence aux écrits de Havelock Ellis, scientifique anglais qui fut l’un des premiers à étudier l’homosexualité sans la considérer a priori comme un crime ou une déviance. S’il pâtit d’une réputation sulfureuse pour avoir alors considéré des cas de relations sexuelles entre des hommes et de jeunes garçons, le fait d’avoir osé transgresser les préjugés en pleine période puritaine lui valut la reconnaissance de ses pairs.

Freud termine sa lettre en ouvrant sa porte à la mère : si son fils est malheureux ou présente les symptômes d’une maladie psychique, une analyse pourra l’aider, mais sans « guérir » son homosexualité, qui n’est pas de son ressort. Il lui assure tout de même que, dans certains cas, « nous pouvons développer les germes des tendances hétérosexuelles, qui sont présents, d’une certaine manière, chez tous les homosexuels ». D’après le psychanalyste, chaque sexe est attiré à la fois par son semblable et son opposé, mais l’assertion révèle tout de même qu’une certaine volonté de modeler la sexualité n’était pas absente de son discours libéral.

>> La lettre dans son intégralité :

« Chère madame,

Je crois comprendre dans votre lettre que votre fils est homosexuel. Je suis très surpris que vous n’utilisiez pas ce terme vous-même dans la description que vous me faites de lui. Puis-je vous demander pourquoi vous évitez de l’employer ?

L’homosexualité n’est certainement pas un avantage mais elle n’est pas honteuse, perverse ou dégradante ; elle ne peut être classifiée comme une maladie, nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, produite par un arrêt spécifique dans le développement sexuel.

Bien des individus fort respectables à des époques anciennes et modernes étaient homosexuels, et l’on retrouve parmi eux certains des plus grands hommes de notre temps. (Platon, Michel-Ange, Léonard de Vinci, etc.).

Il est extrêmement injuste, mais aussi cruel, de persécuter les homosexuels comme des criminels. Si vous ne me croyez pas, lisez le livre de Havelock Ellis.

En me demandant mon aide, j’imagine que vous me demandez si je peux supprimer l’homosexualité et la remplacer par une hétérosexualité, plus normale. La réponse est que, d’une manière générale, nous ne pouvons rien promettre. Dans certains cas, nous parvenons à développer les germes atrophiés des tendances hétérosexuelles qui existent chez tous les homosexuels, mais, dans la majorité des cas, cela n’est plus possible. Cela est lié à l’âge et au caractère de l’individu. Le résultat du traitement est impossible à prévoir.

Ce que l’analyse peut faire pour votre fils s’apparente à autre chose. S’il est malheureux, névrosé, déchiré par des conflits intérieurs, et introverti dans sa vie sociale, l’analyse peut lui apporter l’harmonie, la paix de l’esprit, une efficacité pleine et entière, quel que soit son état : qu’il reste homosexuel ou qu’il soit transformé.

Si vous en décidez ainsi, il pourrait suivre une analyse avec moi, mais je doute que vous acceptiez, et il lui faudra venir à Vienne. Je n’ai pas l’intention de quitter cet endroit. Toutefois, n’oubliez pas de me répondre.

Bien cordialement et avec mes meilleurs sentiments,

Freud

PS : Je n’ai eu aucun mal à lire votre écriture. J’espère que vous ne rencontrerez pas non plus de difficulté face à ma propre écriture et à mon anglais. »