PMA. Piqûres, allers-retours en Belgique : Eloi est né, on nous avait dit d’abandonner

>> Le mariage homosexuel a été adopté il y a maintenant plus d’un an en France, mais la procréation médicalement assisté n’est toujours pas d’actualité. C’est ce que regrettent certains militants qui défileront ce samedi lors de la Gay Pride à Paris. Claire Blandin et son épouse, signataires du “Manifeste des 343 fraudeuses” dans “Libération”, racontent leur combat pour obtenir une PMA.

“Alors, vous voulez un enfant ensemble ? Est-ce que vous êtes mariées ?”

Lorsque l’infirmière nous a posé ces deux questions, un monde s’est ouvert : de ce côté de la frontière, nous n’étions plus des martiennes ; nous n’étions plus des gens différents.

En Belgique, nous n’étions plus des sous-citoyennes

Arriver jusqu’à la prise en charge dans un hôpital universitaire belge était déjà l’aboutissement d’un long parcours : dix ans d’amour et de vie de couple, l’acceptation de notre homosexualité, l’affirmation dans nos familles et dans la société, la signature d’un PACS (et la grande fête qui allait avec, dans la maison de famille qui voyait défiler les mariages depuis cinquante ans)… et le désir d’enfant, pour moi toujours présent ; enfoui, révélé, assumé au gré de notre vie de couple et de l’histoire de nos relations amicales.

Parce qu’il faut le dire, ce sont les copains (hétéros) qui ont dit “vous savez, on vous verrait bien parents”, et c’est ce regard-là qui a levé les barrières.

Est venue ensuite la réflexion sur le modèle de famille que nous voulions fonder, et le choix de faire appel à un donneur anonyme (et qui le reste, parce donné c’est donné). Et, oui, nous voulions un enfant ensemble ; et, non, nous n’étions pas mariées parce que notre pays nous l’interdisait.

En passant la frontière belge, nous n’étions plus des sous-citoyennes.

Dans ce pays flamand, il nous a fallu expliquer et réexpliquer souvent ce que nous faisions ici. Nous ne pouvions pas nous marier en France ? Ni y concevoir des enfants ? La plupart de nos interlocuteurs ignoraient le traitement subi par les couples de même sexe de notre côté de la frontière.

En Belgique, le mariage est ouvert aux couples de même sexe depuis plus de dix ans ; et la présomption de parentalité existe maintenant : la reconnaissance de l’enfant par le partenaire est possible même si le couple n’est pas marié. Les familles homoparentales sont visibles dans la société.

L’eldorado à portée d’autoroute de Paris.

Soins très chers, piqûres à heure fixe : 4 ans de galères

Le premier rendez-vous a eu lieu en 2007. Notre fils, Eloi, est né en 2011.

La première année, nous avons fait des essais réguliers, presque chaque mois, d’insémination ; d’abord sans stimulation. Nous étions suivies par un gynécologue parisien, qui s’est révélé aussi incompétent qu’il était gentil.

Tous les couples qui sont passés par la procréation médicalement assistée mesurent l’ampleur des galères auxquelles nous avons été confrontées.

Le fait d’être à quatre heures de route, et non deux stations de métro, de l’hôpital, de devoir faire l’intermédiaire entre les médecins ou de payer des soins chers (euh, non, très chers) et non remboursés… ajoute beaucoup à la pression psychologique qui pèse (toujours) sur ce type de parcours.

Suivre un processus de stimulation pour une grossesse, c’est faire chaque jour pendant plusieurs semaines des piqûres à heure fixe (d’un produit qui doit auparavant rester au frigo) ; disons que ça limite vite les possibilités de vie sociale.

La plupart des couples épluchent les annonces immobilières lorsqu’ils commencent à penser au projet bébé ; nous, nous avions fièrement fait l’acquisition d’un fax, permettant d’envoyer les résultats d’analyse en urgence sans passer par la case La Poste (qui laisse peu de place à l’intimité dans la transmission du message).

Tout ça permet quelques fous rires : lorsque vous vous êtes arrêtées sur une aire d’autoroute pour le moment fatidique de la piqûre et qu’un car de touristes polonais se gare à côté, avec vue sur votre habitacle ; ou quand il faut expliquer au banquier que, oui, ces virements répétés vers un établissement de santé public belge sont bien volontaires, “mais pourquoi ?”

Oui, pourquoi ?

Deux cas d’infertilité : on nous a conseillé d’abandonner

Après un an d’essais, comme rien de ne venait malgré les stimulations, nous avons fait l’une et l’autre des examens : deux cas d’infertilité ! (alors que rien ne le laissait soupçonner, pas d’antécédents médicaux et deux jeunes femmes de moins de 35 ans).

Le gentil docteur nous a conseillé d’abandonner.

On a mis des mois à relever la tête. Moi d’autant plus qu’il m’avait prédit une issue fatale si je tentais l’opération pour résorber mon problème de fibrome…

Parmi les proches et les amis qui étaient au courant de notre projet d’enfant, après deux ou trois ans, plus personne n’osait poser de question. Au travail, il fallait être fort inventives pour s’échapper presqu’à l’improviste un jour de semaine (pour un aller-retour en Belgique) ou allonger la pause déjeuner (et faire une petite échographie de contrôle…).

Blandine a finalement bénéficié d’une fécondation in vitro

Le service “Fertiliteit” de notre hôpital belge était toujours aussi fiable, accueillant et encourageant. Nous n’y avons jamais croisé d’autres couples homo ; mais nous avons compris qu’un autre traitement de la procréation médicalement assistée était possible : les jeunes couples viennent consulter et sont pris en charge rapidement ; le discours est franc et ouvert, souvent technique.

Là aussi, un autre monde par rapport au discours culpabilisateur des médecins français, qui commencent toujours par demander aux couples hétéro “d’attendre”. On se sentait bien dans cette autre culture médicale.

Et puis, à Paris aussi, on a fini par trouver des médecins plus compétents ! J’ai été opérée (et ne suis pas “restée sur la table” comme prédit) et Blandine a bénéficié d’une FIV (fécondation in vitro).

Eloi est né neuf mois après la première implantation d’embryon… enfin, neuf mois et quelques jours car il n’était pas pressé de sortir.

Il a, depuis, montré qu’il pouvait se dépêcher : pour manger, courir, et faire le fou ; moins pour aller se coucher le soir.

Par Claire Blandin
Enseignante chercheure
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1218791-pma-piqures-allers-retours-en-belgique-eloi-est-ne-on-nous-avait-dit-d-abandonner.html