PMA : «La Cour de cassation a rendu un avis émotionnel contraire aux droits de l’enfant»

FIGAROVOX/ENTRETIEN – La cour de cassation a déclaré que le recours à la PMA ne faisait «pas obstacle» à l’adoption d’un enfant dans un couple de femmes. Une décision que conteste Aude Mirkovic.

Aude Mirkovic est Maître de conférences en droit privé et auteur de PMA-GPA – Après le mariage pour tous, l’enfant pour tous? (ed. Téqui 2014).


FigaroVox: Dans un avis rendu public mardi, la Cour de cassation a ouvert la possibilité d’une adoption dans un couple de femmes après une PMA réalisée à l’étranger. Certains tribunaux avaient pourtant évoqué la notion de «fraude à la loi». Comment expliquez-vous cette décision?

Aude MIRKOVIC: Il y a effectivement fraude à la loi française lorsque deux femmes se rendent en Belgique ou ailleurs pour y bénéficier d’une insémination artificielle avec donneur, une telle insémination étant interdite en France. Cette fraude est réelle mais elle n’est pas la seule ni la plus grave. La fraude, ici, consiste surtout dans le fait de concevoir un enfant d’une manière qui le prive délibérément de son père, pour ne pas s’encombrer du père et laisser la place à la conjointe de la mère. L’enfant est ainsi privé de sa lignée paternelle, pour le rendre adoptable. Ce n’est donc pas une adoption qui est demandée, mais un détournement de l’adoption, et c’est cette fraude à l’adoption que la cour de cassation accepte aujourd’hui de valider. Elle avait pourtant refusé, jusqu’ici, de valider ces processus de fabrication d’enfants adoptables, qui concernaient d’ailleurs des couples homme/femme.

Cette décision ne s’explique pas. Que le désir d’enfant rende aveugle les personnes sur les dommages que leurs désirs infligent aux enfants, c’est compréhensible. C’est pour cela qu’il y a des lois, c’est pour cela qu’il faut des lois, qui protègent les enfants y compris contre les désirs dont ils sont l’objet. Mais l’incapacité généralisée à dépasser l’émotion pour accéder à la raison a atteint la Cour de cassation, et c’est très grave. La Cour de cassation a rendu un avis émotionnel, compassionnel, mais contraire au droit et aux droits de l’enfant.

En quoi cette décision est-elle révélatrice des failles et des incohérences de la loi Taubira? Les jurisprudences vont-elles se multiplier?

La loi Taubira dit que deux hommes ou deux femmes peuvent être parents d’un enfant. Mais cela ne change rien à la réalité, qui est que deux hommes ou deux femmes ne peuvent pas procréer ensemble. Par conséquent, pour que deux hommes ou deux femmes «aient» un enfant, cela suppose en pratique de commencer par priver cet enfant de père ou de mère. Le problème est qu’une telle pratique est contraire aux droits de l’enfant et, notamment, à son droit, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d’être élevé par eux, garanti par la Convention internationale des droits de l’enfant (art. 7). On n’a pas le droit de priver délibérément un enfant de l’un de ses parents ou des deux, pour satisfaire ses propres désirs, que l’on soit un couple de femmes, d’hommes, homme/femme, célibataire ou autre: le problème est de priver l’enfant de ses parents, et peu importe qui le prive. En l’occurrence, être en couple de femmes ne donne pas le droit de priver un enfant de son père.

D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a clairement dit, dans la décision qui a déclaré la loi Taubira conforme à la Constitution, que le fait de se rendre à l’étranger recourir à la PMA ou la GPA en fraude à la loi française, pour demander ensuite l’adoption en France, constitue un détournement de la loi, et «qu’il appartient aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques» (Décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, §58). La Cour de cassation visiblement ne s’en soucie guère, et rend un avis inconstitutionnel.

A terme, cela va-t-il conduire automatiquement à la PMA et la GPA pour tous?

Automatiquement, non. Rien n’est automatique, rien n’est irréversible, et toutes les décisions sont le fait de personnes libres et responsables. Il suffit que quelques personnes aient le courage de prendre les bonnes décisions, et il est possible de rétablir le droit. D’ailleurs, cet avis n’est pas obligatoire pour les juges, et ils peuvent encore protéger les enfants en refusant de suivre un avis honteux et rétrograde.

Le droit français valide la fabrication d’enfants adoptables, et c’est très grave. Il ne sert à rien de se lamenter, mais il faudra changer ce droit, qui n’est d’ailleurs plus du droit mais de l’injustice: pour commencer, abroger la loi Taubira qui est à l’origine de tout cela, et puis rétablir l’adoption comme ce qu’elle est, une institution au service de l’enfant, qui a pour raison d’être de remplacer auprès de l’enfant les parents dont il a été privé par les malheurs de la vie. Ici, ce ne sont pas les malheurs de la vie qui ont privé l’enfant de père, mais la décision de sa mère et de sa conjointe. Les juges ne peuvent accepter de valider cela, quoi qu’en dise la Cour de cassation.

Quoi qu’on pense par ailleurs de la PMA et la GPA, en prenant cette décision, les juges n’ont-ils pas statué en fonction de l’intérêt de l’enfant? Existait-il d’autres solutions?

Les juges pensent certainement rendre service aux enfants de la même manière que les femmes qui les privent de père n’ont que des bonnes intentions à leur égard. Mais c’est le genre de bonnes intentions dont l’enfer est pavé: hélas, cette adoption ne répare pas le préjudice principal subi par l’enfant qui été privé délibérément de sa lignée paternelle. Au contraire, une telle décision revient à nier ce préjudice, empêchant d’autres femmes tentées par ces techniques de mesurer le préjudice ainsi causé à l’enfant. Ensuite, une telle adoption est un encouragement à multiplier le nombre d’enfants délibérément amputés de leur lignée paternelle pour pouvoir être adoptés. Enfin, si l’intérêt de l’enfant justifie de prononcer l’adoption demandée, alors il permettra de valider toutes les situations constituées au mépris de ses droits, notamment dans le cadre de l’adoption internationale, et paralysera les règles qui protègent justement les enfants contre les trafics de toute sorte.

La solution véritable est de prendre des mesures pénales dissuasives, pour éviter que des enfants ne subissent ces pratiques, c’est-à-dire d’incriminer le recours à la PMA en dehors des conditions légales, comme le recours à la GPA d’ailleurs, y compris à l’étranger. Au législateur d’intervenir, puisque la Cour de cassation a démissionné.

Journaliste au FigaroVox.