« On vient finir le travail des nazis » : le « J’accuse » d’un blogueur

La police et les médias belges ont-ils tenté d’étouffer une violente agression, purement antisémite, contre une femme à Anvers ? La polémique enfle sur les réseaux sociaux depuis quelques jours, poussant les policiers concernés sur la défensive et forçant la presse belge à s’intéresser enfin à l’affaire.

Si les accusations portées contre les policiers sont exactes, il s’agirait d’un scandale inquiétant en Belgique. Voici les versions des uns et des autres.

La version des victimes

En mai, un couple marié de lesbiennes, Ruth Sverdloff et Cindy Meul, s’installent dans un appartement à Aartselaar, dans la banlieue sud d’Anvers, un quartier calme. Le lendemain de leur arrivée, elles mettent sur leur porte d’entrée une Mezouzah, objet de culte juif traditionnel censé protéger la maison.

Ruth Sverdloff, ancienne championne de tennis israélienne (1982) est en effet de confession juive. Depuis, chaque soir, entre 1 heure et 4 heures du matin, quatre jeunes belges (les voisins du dessous et ceux d’à côté) frappent à la porte et insistent sur le fait qu’aucun juif ne doit pouvoir habiter cet immeuble. « Juifs puants », auraient-ils hurlé à plusieurs reprises.

Après deux semaines, le couple décide de porter plainte. La police ne bouge pas, le harcèlement continue. Les voisins harceleurs appellent de leur côté la police pour se plaindre des bruits que font Ruth et Cindy. La police rend visite à ces dernières, et leur affirme que tout le voisinage se plaint d’elles.

Le vendredi 24 mai, Ruth se rend chez son dentiste, laissant Cindy Meul seule à l’appartement. A 10 heures 30, le couple de voisins du dessous frappe de nouveau à la porte. Cindy Meule est au téléphone avec sa grand-mère. Elle raccroche, vient ouvrir et s’entend dire : « On vient finir le travail des nazis ».

Puis les visiteurs la frappent très violemment. Elle perd conscience, elle a le nez cassé. Elle passera deux semaines à l’hôpital.

Ruth arrive au moment où Cindy est conduite vers une ambulance. Elle voit le couple d’agresseurs plaisanter avec une policière, et s’énerve contre l’agente qui menace de l’arrêter. Aucun procès-verbal n’est dressé, aucune interpellation n’est réalisée.

Peu après, Ruth se rend au poste de police d’Aartselaar, avec l’attestation médicale constatant les coups et blessures contre sa femme. Mais elle ne parle pas le flamand, et le policier de faction refuse de prendre sa déposition. Elle parle hébreu, anglais, et français, mais c’est peine perdue : le policier ne veut entendre que du néerlandais.

Plus tard, un policier d’Aartselaar vient remettre un PV au couple : Cindy Meul est poursuivie pour coups et blessures envers les deux jeunes voisins ! Ruth et Cindy décident alors de prendre comme avocat Mischaël Modrikamen, un homme politique en vue (fondateur d’un parti de droite très réactionnaire). Le 17 juin, plus de trois semaines après les faits, Ruth Sverdloff parvient enfin à déposer plainte dans un autre poste de police.

La version de la police

La police locale affirme que les deux femmes n’ont pas cherché à porter plainte contre leurs voisins avant l’agression. Au contraire, ce sont les voisins qui auraient déposé plainte contre elles, à quatre ou cinq reprises, pour tapage nocturne. « Nous avons tenté de résoudre cela à l’amiable », a déclaré Patrick Crabbé, inspecteur général, à l’agence Belga.

Le 24 mai, toujours selon la police, une dispute entre voisins dans le hall de l’immeuble aurait dégénéré. D’après les policiers, dont le témoignage est rapporté par Belga, la victime semblait « clairement sous l’influence de l’alcool » et « n’avait pas souhaité se faire soigner ou déclarer les faits ». Patrick Crabbé a ajouté :

« Depuis nous l’avons de nouveau invitée à déposer plainte mais elle ne l’a toujours pas fait. »

Le « J’accuse » d’un blogueur

L’essayiste et scénariste Marcel Sel, auteur de « Indignés de Cons », cherche à y voir plus clair. Il ne comprend pas pourquoi la presse israélienne a parlé de cette affaire « en long et en large », alors que la presse belge n’en n’a pas dit un mot, ou presque.

Il relaye sur son blog les questions que se posent les deux femmes :

Pourquoi la police n’a pas pris les empreintes dans l’appartement ?
Y est-elle même allée ?
Pourquoi elle n’a interrogé personne (prenant uniquement la version des agresseurs présumés) ?
Pourquoi les policiers n’ont pas établi un PV sur la scène du délit, ou du crime ?

Il s’étonne aussi de la façon biaisée dont les policiers relatent la version des deux femmes, leur version étant pleine de conditionnels et d’incohérences :

« Le 24 mai, deux voisins seraient [conditionnel] entrés dans l’appartement du couple et auraient [conditionnel] attaqué Cindy, qui aurait [conditionnel alors que c’est un fait attesté par un médecin] de ce fait eu le nez cassé. »

Et la police ? Lisez attentivement, dans sa réponse, la police s’en tient à une dispute de voisins qui aurait mal tourné dans le hall de l’immeuble :

« La victime [tiens, tiens, je pensais que c’étaient les deux jeunes, les victimes] est [indicatif] ensuite apparue clairement ivre [ce qu’absolument rien n’établit], n’a pas souhaité qu’on la soigne [elle dispose d’un certificat qui prouve le contraire], et a refusé de déposer plainte. Nous l’avons plusieurs fois invitée gentiment [elle était à l’hôpital…], mais cette plainte n’a toujours pas été déposée [et pour cause]. » »

Cette version contredit certains faits : le sang trouvé dans l’appartement, un miroir tombé. Par ailleurs, aucun alcotest n’a été demandé à Cindy Meul…

Le 28 juin, Marcel Sel a téléphoné à la police et il reproduit sa conversation avec le commissaire Dirk Fonteyne, porte-parole de la zone de police :

« Dirk Fonteyne (au téléphone) : “Nous ne souhaitons plus communiquer sur ce dossier (…) Il y a eu énormément d’émoi, d’agitation autour d’une affaire qui n’était rien du tout [NL : Voor iets dat niets was].

Marcel Sel : Donc, en ce qui vous concerne, il ne s’est rien passé ?

– Non, non, non ! Je ne dis pas ça ! Je dis simplement que nous ne voulons plus communiquer, il y a eu suffisamment de choses dites sur le sujet […]

– Mais j’ai cru comprendre que vous disiez qu’il ne s’était ‘pas passé grand chose’

– […] Non, mais cette affaire a été largement exagérée [NL : Opgeblazen].

– Mais vous êtes conscient que Bart De Wever (le bourgmestre d’Anvers, qui a reçu les victimes et a demandé que la lumière soit faite sur l’affaire, ndlr) voit les choses d’une façon très différente ?

– Mais tout le monde s’est emparé de cette histoire ! Bart De Wever s’en occupe, le procureur s’en occupe, ils en font un truc énorme, alors qu’il s’agit de rien du tout [NL : Ze maken daar k’weet-ni-wa van terwijl er helemaal niets is].”

Le blogueur n’est pas convaincu par le policier. Il conclut :

“La version de Ruth et Cindy me paraît bien plus crédible que celle de la police locale. Si cette histoire est vraie, comme je le pense, elle est juste épouvantable. Et l’affirmation par le porte-parole de la police que ‘Ce n’est rien’ prend à son tour une dimension effroyable.”

Bien troussé, ce billet en forme de “J’accuse” enflamme depuis samedi les réseaux sociaux, ce qui pousse la presse belge à réagir : la Libre Belgique a consacré un article au sujet.
Pascal Riché | Cofondateur Rue89