Non, “la nature” ne justifie pas l’homophobie

“Il est facile d’envisager le sexe comme quelque-chose de clair et net, de noir et blanc. Nous devons régulièrement cocher le masculin ou le féminin dans divers formulaires, nous allons dans des manifestations sportives où les hommes et les femmes rivalisent séparément et nous avons pris l’habitude de ne pas choisir les mêmes habits pour nos bébés, selon que le bout de chou est une fille ou un garçon.

Mais dans l’ensemble du monde naturel, le sexe est une zone bien plus grise – diverse, complexe, et souvent extraordinairement malléable. Notre configuration sexuelle n’est que l’une des nombreuses autres configurations à l’œuvre dans le règne animal, chacune ayant évolué sur de très nombreuses générations parce qu’elle résolvait des problèmes particuliers, ou assurait la survie au sein d’environnements hostiles.

Le sexe n’est que l’un des multiples instruments d’une énorme boîte à outils évolutive. Il permet à des animaux aux modes de vie et aux impératifs totalement différents de prospérer, et ce dans une extraordinaire variation de moyens.”

La nature comme prétexte à l’homophobie : rien ne le justifie scientifiquement

Ainsi commence l’article de Kate Shaw, publié l’année dernière sur “Ars Technica” est à ce jour, et à mon sens, ce qu’on pourrait dire de mieux pour fermer le claque-merde des opposants au mariage, à l’adoption et à la procréation par des couples du même sexe, avançant des arguments aussi anthropologiquement que biologiquement bidon de “permanence”, de “dichotomie fondamentale” et autres “altérité essentielle”, prétendument mises à mal par les probables et prochaines évolutions de notre code civil.

Comme le fait remarquer un autre mirifique article publié un peu plus tôt ce mois, l’argument de la nature a toujours fait les choux gras des homophobes : l’homosexualité étant prétendument “contre-nature” parce que non féconde, elle se doit d’être ostracisée, torturée, exécutée… j’en passe et des meilleures, via des siècles et des siècles de réprobation théologico-politique, toujours tragiquement actuelle pour la très grande majorité (97,8%, à la louche) de l’humanité contemporaine.

La semaine dernière, on retrouvait l’argument en bonne place des cortèges hostiles au 31ème engagement du “projet” électoral de François Hollande. Et vu que la désinformation a peut-être la dent encore plus dure que les préjugés de la formule consacrée, il y a fort à parier qu’on le recroise encore, et pendant (trop) longtemps.

Les mentalités évoluent cependant, et les connaissances aussi

Néanmoins, quelques lueurs d’espoirs commencent à briller, et de plus en plus distinctement. Ainsi, comme le mentionne Alex Ross dans l’article du New Yorker sus-cité, il ne faut parfois pas grand-chose (et peu de temps) pour retourner une opinion : en 1988, 57% des Américains interrogés par Gallup estimaient que les relations homosexuelles devaient être illégales ; un an plus tard, ils n’étaient plus que 36%.

Entre les deux, l’épidémie de sida et l’action d’associations comme Act-Up avaient permis d’ “humaniser une population communément décrite comme une bande de narcissiques sans âme”. Depuis, l’idée que l’homosexualité n’est pas un choix, mais une orientation innée dont les mécanismes biologiques ne cessent d’être dévoilés, s’est aussi répandue et a largement contribué, sans doute, au “repli des sentiments anti-gay en Occident laïc”.

À ce jour et à ma connaissance, l’ouvrage le plus complet et le plus stimulant permettant d’écraser le lien “logique” entre nature et homophobie est celui de Bruce Bagemihl, Biological Exuberance : Animal Homosexuality and Natural Diversity [NDLA : l’exubérance biologique : de l’homosexualité animale et de la diversité naturelle], qui listait en 1999 les très multiples formes d’homo- et de bisexualité existant dans le règne animal. Dans une version plus académique et plus récente du même thème, celui-ci est aussi tout à fait recommandable.

Des formes non conventionnelles de parentalité chez les animaux

Mais plus loin que la “simple” homosexualité, la nature regorge aussi de formes “non-conventionnelles” de parentalité, à l’instar des célèbres Syngnathinae, cette famille de poissons qui compte l’hippocampe ou le dragon des mers, et où la gestation se fait chez les mâles, dans une poche dont le fonctionnement rappelle celui du placenta.

Il y a quelques jours, une équipe de zoologues allemands, dirigés par Olivia Roth, a publié une étude passionnante sur les bénéfices d’une telle incubation masculine. Il en ressort que, chez le Syngnathus typhle en particulier, elle est un parfait fortifiant immunitaire.

À l’inverse des humains, où seule la mère transmet ses anticorps à l’enfant – pendant la grossesse via le placenta, et après via l’allaitement –, chez ce poisson, la gestation masculine fait que le père transmet, lui aussi, ses anticorps, et “redouble” de fait la résistance immunitaire de ses alevins. Une résistance aux pathogènes durable, vu qu’elle perdure près de quatre mois après la ponte (plusieurs années à l’échelle de ces petits animaux).

Et quand, expérimentalement, les alevins sont uniquement exposés aux anticorps de la mère, ils sont largement plus sensibles aux infections et aux parasites. Ce qui pourrait correspondre, selon les scientifiques à un “bénéfice adaptatif ayant mené à l’évolution de la grossesse masculine chez les hippocampes et les siphonostomes”.

En remontant ainsi l’horloge évolutive, on peut rêver d’un “presque rien”, qui aurait pu faire basculer le destin de l’humanité vers une tout autre configuration reproductive. Sexuellement parlant, la nature n’a rien d’un long fleuve tranquille et la prendre comme justification de délires traditionalistes et homophobes est un non-sens.

Par 
sexe, science et al.

Attention, cet article date de 2012. Nous le republions parce qu’il reste à ce jour une certaine référence.