« Manif pour tous » Saison 2 : Les mauvais arguments

Ce Dimanche 5 octobre, les opposants au mariage gay retourneront dans la rue, pour une manifestation à laquelle participeront un certain nombre d’élus, membres de l’UMP, mais aussi du Front national. Avec un mot d’ordre nouveau : non seulement pour le retrait de la loi Taubira, et donc l’abrogation du mariage homosexuel, mais aussi contre la GPA (gestation pour autrui) et la PMA (procréation médicalement assistée) pour les couples homosexuels.

« Ce que nous voulons, c’est abroger la loi Taubira sans effet rétroactif, interdire la PMA pour les couples de même sexe et la GPA et bouter l’idéologie du genre hors de nos écoles et des organisations où elle n’a rien à faire », résume Ludovine de la Rochère, chef de file du mouvement. Autant de slogans qui posent question : outre le fait que supprimer le mariage gay paraît des plus hasardeux juridiquement, sur les questions de GPA et de PMA, la Manif pour tous semble avoir oublié le droit. Quant à « l’idéologie du genre », elle relève très largement du fantasme.

1. Abroger la loi Taubira serait des plus complexes

On comptait, début 2014, environ 7 000 unions homosexuelles célébrées en France et plusieurs dizaines d’adoptions par des couples. Comment, dans ces conditions, abroger la loi Taubira ? La Manif pour tous prend soin de préciser qu’elle ne souhaite pas de rétroaction, c’est-à-dire de « démariage » des couples unis. Ce qui serait juridiquement aberrant. De même qu’imaginer transformer ce mariage en statut équivalent.
Mais même abroger le mariage pour tous serait des plus complexes. Cela reviendrait à créer une inégalité de fait entre personnes ayant pu se marier avant la loi et personnes qui ne le pourraient plus, ce qui pourrait être assimilé à une « rupture d’égalité devant la loi ». Avec ainsi la forte probabilité qu’un couple s’estimant lésé se porte devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Il faut en outre prendre en compte l’impact politique d’une telle décision : plusieurs enquêtes montrent qu’une nette majorité de Français – y compris parmi les sympathisants de l’UMP – n’est pas favorable à une remise en question des unions homosexuelles. Abroger le mariage gay aurait très probablement un impact politique négatif pour la majorité qui en prendrait la décision. Historiquement, comme le souligne le constitutionnaliste Didier Maus, « il n’y a jamais eu de retour en arrière sur les réformes de société depuis la Libération ».

2. La GPA n’est toujours pas autorisée

Deuxième point : « l’interdiction universelle » de la GPA. Les anti-mariage ont fait de la pratique de la GPA (qui consiste à faire « porter » un enfant par une autre femme, l’ovule provenant le plus souvent de la future mère et étant fécondé par le futur père, mais pouvant aussi venir d’une donneuse anonyme ou de la mère biologique) un repoussoir, arguant qu’on faisait « commerce des ventres » de femmes ou des bébés. La loi Taubira ne l’a pourtant jamais prévu ni envisagée, à aucun moment des débats.
La GPA, que ce soit pour les homosexuels ou les hétérosexuels, qu’elle soit rémunérée ou non, est interdite en France et l’a toujours été. Les anti-mariage évoquent en réalité la question d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, à propos des fameux époux Mennesson. Ce couple hétérosexuel, infertile, avait eu recours à une GPA pratiquée en Californie, où elle est légale. Ils ont ainsi eu des jumelles, et la justice américaine leur a accordé le statut de parents des deux petites filles.
Mais de retour en France, ils ont essuyé le refus de l’Etat d’accorder la nationalité française aux enfants, et une transmission du dossier au parquet, pour soupçon de GPA. Un juge a rendu une ordonnance de non-lieu, les faits s’étant produits à l’étranger, sur un territoire où ils n’étaient pas interdits. S’en est suivie une longue bataille judiciaire autour de la nationalité des deux fillettes, qui restaient sous la garde de leurs parents par ailleurs. La CEDH a tranché, en condamnant la France pour non-respect de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui impose le « droit au respect de sa vie familiale ».
L’arrêt de la CEDH ne légalise pas la pratique de la GPA sur le territoire français
Cet arrêt, qui s’impose au droit français, devrait conduire les juges à reconnaître à l’avenir qu’on ne peut condamner les enfants du fait du non-respect de la loi par leurs parents. Et donc qu’on ne peut pas refuser une nationalité ou une adoption du fait du mode de conception de l’enfant à l’étranger. Cet arrêt ne légalise donc absolument pas la pratique de la GPA sur le territoire français et n’empêche pas le législateur de condamner les parents sur ce fondement.
En pratique, il change peu de choses : les deux jumelles vivaient avec leurs parents. Et si une juridiction étrangère a reconnu la filiation d’un enfant issu de GPA et de son père, dans le cas d’un couple homosexuel, la justice française ne retire pas l’enfant à ce dernier et n’a pas compétence pour condamner une pratique effectuée de manière légale sur un territoire étranger. Le seul changement réside dans le fait qu’elle ne pourrait par exemple plus refuser une adoption de l’enfant ainsi conçu, par le compagnon du père, au motif de la GPA.

Quant à l’interdiction « universelle », elle revient pour la Manif pour tous à demander à plusieurs pays de renoncer à une pratique légale sur leur sol depuis des années. Et Manuel Valls vient d’aller dans son sens en expliquant qu’il comptait demander à Laurent Fabius que la France porte une revendication auprès de ses voisins : que les couples étrangers n’aient pas accès à la GPA dans les pays qui l’autorisent.

3. La PMA pour les couples homosexuels n’est toujours pas autorisée non plus

L’interdiction de la PMA pour les couples de même sexe relève du même principe : la Manif pour tous réclame en effet ce qui est déjà interdit. En France, la PMA (insémination artificielle de la mère, via notamment fécondation in vitro) n’est autorisée que pour les couples hétérosexuels cliniquement infertiles ou dont l’un des membres est atteint d’une pathologie grave qu’il risquerait de transmettre à l’enfant. Le gouvernement avait un temps envisagé d’ouvrir la PMA aux couples de lesbiennes désirant enfanter. Il y a renoncé.
Dans la pratique, la PMA est très complexe en France, du fait notamment d’un faible nombre de dons d’ovocytes. Depuis longtemps, des couples hétérosexuels partent donc dans des pays voisins, Espagne ou Pays-Bas notamment, où il est plus facile d’y avoir accès. Depuis longtemps également, des couples de lesbiennes font la même démarche et obtiennent à l’étranger l’accès à l’insémination artificielle.
Cette pratique est illégale en France. Et cela n’a pas changé depuis 2012. Là encore, on ne peut pas empêcher des couples hétérosexuels ou homosexuels de partir dans des pays où elle est légale. Avec au retour les mêmes questions de filiation qui se posent au législateur. L’arrêt de la CEDH dans l’affaire Mennesson devrait de facto harmoniser les décisions de justice en matière d’adoption par le conjoint d’un enfant issu de PMA, qui sont pour le moment assez différentes d’une juridiction à l’autre. Mais en pratique, cela ne change rien : la PMA n’est pas autorisée, en France, aux couples homosexuels.

4. « L’idéologie du genre » à l’école relève du fantasme

Enfin, la fameuse « idéologie du genre ». On l’a expliqué de nombreuses fois, ce concept a été forgé par ses détracteurs, qui mélangent une série de choses différentes.
Une notion de « genre » commune. Cette notion se distingue du sexe, au sens où elle prend en compte les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes. Employée par nombre d’organisations internationales comme l’Organisation mondiale de la santé, elle sert de base à de nombreux travaux sociologiques, dont certains trouvent une application politique concrète : la lutte contre les inégalités hommes-femmes.
C’est cette lutte qu’a voulu promouvoir le gouvernement au travers notamment des « ABCD de l’égalité », programme expérimental lancé dans certaines écoles, et abandonné depuis.

Transformée en « idéologie » ou en « théorie ». La Manif pour tous a accolé divers concepts, issus de travaux d’universitaires ou de féministes américains, dont Judith Butler, bête noire des « anti-gender ». Ces études sociologiques ont travaillé sur la construction de « l’identité de genre » : ce qui fait par exemple qu’un petit garçon qui fait de la danse, ou une petite fille qui fait du rugby, passeront pour étranges ou insolites ; ou encore qu’on « attend » d’une femme un caractère plus doux que d’un homme. On parle ici d’études universitaires, qui s’interrogent donc sur ces questions et sur la « place » donnée aux hommes et aux femmes, les « études de genre ».
Il n’existe aucune « idéologie de genre » qui ressemblerait à l’idéologie marxiste
Mais il n’existe aucune « idéologie de genre » qui ressemblerait à l’idéologie marxiste, au sens d’une théorie politique unique, dotée d’un agenda précis et d’une volonté de changer la société selon un protocole précis et établi. La lutte contre les discriminations et pour l’égalité hommes-femmes n’a rien de nouveau. Elle constitue un objectif éducatif assumé par les textes officiels de l’éducation nationale depuis une vingtaine d’années. C’est également un objectif européen, voire mondial, au sens où il est porté par l’Unicef ou l’ONU.

Et surtout, les écoles françaises n’ont aucunement pour programme de transfomer les enfants en hermaphrodites, ni même de les initier aux études universitaires sur la notion de genre. Quelques programmes cherchent essentiellement à questionner ces stéréotypes, et à apprendre aux enfants qu’une femme peut devenir pilote d’hélicoptère et un homme père au foyer, sans que ce soit une déviance.
On peut estimer que ce n’est pas là le rôle de l’école. Mais cette notion de « théorie » ou « d’idéologie » du genre est une construction largement fantasmée de la part d’un noyau dur de la Manif pour tous, composé de catholiques traditionalistes ou de personnalités des plus sulfureuses, comme l’artisane des « Journées de retrait de l’école », Farida Belghoul, proche du conspirationniste d’extrême droite Alain Soral.

Samuel Laurent
Journaliste au Monde
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