Lettre ouverte à Mathieu, victime de violences homophobes à Saint-Tite

On ne se connaît pas, Mathieu. Mais au moment où j’ai aperçu ton visage en sang sur le web, j’ai été envahi par la tristesse et la colère, comme bien des gens. Depuis, le courage dont tu fais preuve m’a tellement inspiré que l’idée m’est venue de t’écrire. Tu vas bientôt comprendre pourquoi.

Je pense que ce qui m’a le plus ému, c’est quand tu as dit à ton beau-père, après l’agression : «Je me souviens que je pleurais en le suppliant de me changer en hétéro.» Tu le sais déjà, j’en suis certain, mais tu faisais erreur, j’imagine éprouvé par la douleur. Parce que ce n’est pas à toi de changer. Ça ne sera jamais à toi. C’est lui, ton agresseur, de même que tous les imbéciles que tu déranges en étant simplement toi-même, qui doivent changer.

Moi, je te demande de ne jamais changer. Parce que ce n’est pas toi qui as le problème, mais tous ceux qui, «agressés» par ton homosexualité, ne savent qu’agresser en retour. C’est à eux de devenir «normaux», c’est-à-dire plus humains. Ce chemin sera long, mais nous allons les aider.

Tu sais, il ne faut pas se fier aux apparences : l’agression est un signe de faiblesse, non de force. On agresse quand on perd le contrôle. En réalité, il a perdu, cet imbécile qui t’a frappé. Si les coups lancés à ton visage ont laissé des traces, ce qu’on doit y lire, c’est la défaite de l’agresseur et non la tienne. Même s’il s’en est tiré sans une égratignure.

Certes, tu as failli perdre connaissance, mais au moins, peut-être que cela aura permis à des gens de prendre mieux conscience de l’absurdité de toute cette violence. C’est cher payé, je suis d’accord, mais essayons au moins de travailler ensemble à ce que ça ne soit pas inutile.

Ce n’est pas le bon moment pour te le rappeler, mais nous avons fait du chemin depuis quelques décennies dans la lutte contre l’homophobie. Parce que d’autres se sont tenus debout, comme toi. Et que d’autres le feront à l’avenir.

En partie grâce à toi et à tous ces gens, qui ont eu le courage de dénoncer les agresseurs, cette haine aberrante recule peu à peu, les perceptions évoluent – quoique lentement – et les comportements s’améliorent. Mais comme tu l’as dit, il reste encore beaucoup de travail à accomplir.

Quant à moi, parce que j’ai ressenti dans mes tripes les raisons de ta colère, la justesse de ton combat et la force de ta détermination, je garde ma confiance dans le genre humain, comme chaque fois que quelqu’un se lève pour défendre la dignité.

Que tu n’aies pas eu peur de parler, que tu aies gardé la tête haute, puis dénoncé l’agression, que tu aies enfin continué d’avancer, ce sont des signes de la grande humanité qui t’anime. Nous sommes donc et serons à tes côtés, parce que tu as réussi à nous transmettre ce courage qui parfois manque pour changer les choses.

Il faut aussi que tu saches que j’ai un fils. Il a vingt-deux ans, comme toi, et te ressemble beaucoup. En lisant ton histoire, j’ai aussitôt pensé à lui. Je vais t’en dire deux mots.

Il y a plusieurs années, mon fils nous avait écrit une longue lettre. Nous avions, moi et ma compagne, craint qu’il ne soit suicidaire. En fait, il vivait une certaine détresse. Mais il avait surtout décidé, ce jour-là, de franchir une étape, celle de la vérité, envers nous comme avec lui-même. Dans cette lettre, il nous annonçait simplement qu’il était homosexuel. Mais il craignait notre réaction – surtout la mienne, en fait, n’ayant aucun doute sur celle de sa mère.

Je te l’avoue, Mathieu, j’ai alors été un peu sonné. Durant une heure ou deux, je ne comprenais rien. J’étais sans doute aussi inquiet pour lui, voyant tout ce que cela pouvait ajouter de difficultés à sa vie. Et ce fut tout.

J’ai ensuite peu à peu retrouvé mon sourire, parce que j’admirais son courage, sa transparence et son honnêteté. Il démontrait ainsi beaucoup de détermination, comme tu le fais ces jours-ci.

J’ai donc trouvé que tout cela était bien correct et il n’y a jamais eu de problème entre nous à ce sujet ni d’ailleurs avec toute autre personne de la famille ou de l’entourage. Il était comme il était, voilà tout.

Après avoir lu ton histoire dans les journaux, je lui ai envoyé une version de ce texte que je voulais t’écrire, lui demandant s’il accepterait de le voir publier ici. Il me semblait que cela pourrait en aider d’autres, par exemple ces pères parfois désemparés devant de telles annonces. Je ne voudrais surtout pas lui nuire ou que d’autres imbéciles le ciblent, lui aussi. Imaginer une telle situation me fait vraiment frémir de rage.

Mais il m’a répondu que ça lui ferait au contraire plaisir et m’a encouragé, moi qui hésitait, à publier. Il m’a aussi assuré qu’il n’aurait pas de problème et qu’il n’y avait pas d’homophobie autour de lui. Il a parlé de sa fierté d’être gai et qu’il assumait très bien sa «situation».

Mathieu, je dois te dire que j’étais alors et je suis encore fier de lui, comme aujourd’hui de toi. En te tenant debout comme tu le fais – comme mon fils –, tu contribues à ta façon à rendre le monde meilleur. Et c’est important, parce que le monde en a bien besoin, ces temps-ci.

Alors, ne lâche surtout pas. Et ne change jamais. Parce qu’il reste encore beaucoup de travail devant nous et que nous avons besoin de personnes comme toi pour y arriver.

Voilà, c’est à peu près tout ce que j’avais à te dire. Mais si tu étais mon fils, je pense bien que je te serrerais maintenant dans mes bras.

Le Dr Alain Vadeboncoeur