Les homos à la télé: le retard français

Mariage pour tous ou pas, les homosexuels ont la vie dure sur le petit écran français. “Plus Belle La Vie” (France 3) est le seul feuilleton qui a osé mettre en scène un couple homosexuel sans y apporter un regard purement sociologique et anecdotique. Pour le reste, le panel de fictions auxquels les chaînes françaises soumettent les téléspectateurs donne peu de place à l’homosexualité.

En cause : la ménagère de 50 ans. Réputée frileuse, la cible privilégiée des directeurs des programmes n’aurait pas encore accepté l’évolution de notre société. La scénariste Elsa Marpeau en sait quelque chose. “Un jour, j’ai présenté, avec mon co-scénariste, un unitaire qui racontait une ’histoire d’amour entre deux femmes à Paris. On nous a rétorqué qu’il valait mieux une histoire d’amour avec un homme”, raconte-t-elle. Raisons invoquées par la prod: l’histoire n’intéresserait pas la ménagère de moins de 50 ans et le public masculin ne pourrait pas s’identifier. “La présence homosexuelle ne gêne plus les Français et les patrons de chaînes n’ont pas encore compris que la télévision doit être le miroir de la société !”, s’insurge Sylvain Zimmerman, chef de rubrique au magazine Têtu.

Aux Etats-Unis, les séries avec des personnages homosexuels pour héros foisonnent et connaissent un vif succès, de “Glee” (Fox) à “Modern Family” (ABC) en passant par “The New Normal” (NBC), “Pretty Little Liars” (ABC Family) ou “True Blood” (HBO). On notera également “The L Word” (Showtime) ou “Nip/Tuck” (FX). Certains networks, sont régulièrement récompensés pour la place qu’ils donnent à la communauté LGBT tout en ayant cure des menaces d’associations catho-conservatrices. Claire Varin, journaliste télé ayant mené une enquête sur l’homosexualité dans les séries françaises pour ados, estime que la télévision française n’est pas progressiste à la différence d’Hollywood. La journaliste note également une différence culturelle entre une société universaliste, donnant peu de place aux minorités, et une société américaine communautariste. “L’audace n’est pas le fort des directeurs de programmes. Sans compter une homophobie plus ou moins inconsciente. Je crois que ce manque de représentation est aussi lié au dysfonctionnement de la fiction française. La place du scénariste dans le processus créatif n’est pas la même qu’aux Etats-Unis”, explique-t-elle. “De plus, en France, on ne fait pas confiance aux personnages. Dernièrement, on a vu un couple gay dans “Ainsi soient-ils” (Arte ndlr). Malheureusement, on ne croit pas du tout à leur histoire d’amour”.

En dehors de PBLV, les homos ne font que passer. Dans “Clara Sheller” JP (Frédéric Diefenthal), le seul homo de la série a vite fait de virer sa cuti au point de coucher avec l’héroïne sur France 2. Dans le téléfilm “Autopsy”, sur France 3, un policier (Thierry Neuvic) et un médecin (Stéphane Freiss) tombent progressivement amoureux avant de passer aux choses sérieuses à la fin de l’histoire. Dans “Les Bleus, premiers pas dans la police”, Kevin (Nicolas Gob), jeune flic timide, cache son homosexualité sur M6. Ou encore dans la série “Les invincibles”, signée Arte, le queutard de la bande se retrouve troublé par un garçon au point de se poser des questions sur sa sexualité.

Sans compter les séries du type “Fais pas ci, fais pas ça” (France 2) et “Joséphine Ange Gardien” (TF1) qui, dans un épisode, pose la question de l’homosexualité comme un problème à résoudre ou un cas sociétal à part. “Si on met en avant des personnages homosexuels dans ces fictions, c’est pour remplir des quotas et faire parler. Autrement, l’histoire d’amour homosexuelle n’est jamais bien intégrée au scénario”, résume Manuel Raynaud, fondateur su site spin-off.fr.

Selon la scénariste Brigitte Peskine la plupart des directeurs de programmes se révèlent incapable d’accepter purement et simplement la présence d’homosexuels dans une fiction. Il faut soit les intégrer de façon caricaturale, soit faire preuve d’une approche sociologique. Comme pour les minorités ethniques. Résultat, à force de vouloir échapper aux clichés on se jette dedans en klaxonant. “La télé française est consensuelle, ne veut se mettre personne à dos et à peur de se couper de son téléspectateur modèle”, note pour sa part Benoît Lagane, journaliste de France Culture spécialiste de la fiction française et des séries. “Si aux Etats-Unis, on voit beaucoup de personnages homosexuels dans les séries c’est que tout cela est en germe depuis les années 60. Il n’y a qu’à regarder le “sous-texte” des ‘Mystères de l’Ouest’, ‘Starky et Hutch’ ou même ‘Dynastie’“. Et d’ajouter : ”En matière de production, on en est encore aux annnées 80 comparé aux Etats-Unis”.

Le programme court “Scènes de ménages” , aurait pu intégrer un couple homosexuel. Mais si cette hypothèse a été envisagée elle a rapidement été écartée. “Cela ne nous semblait pas intéressant à moins de tomber dans le stéréotype de la« Cage aux Folles ». Nous ne résonnons pas en spécificité mais en potentiel de conflit naturel et non artificiel, dans un couple », explique Alain Kappauf, producteur de la série qui fait les beaux jours de M6. Selon lui, la caricature du personnage gay ne doit pas prédominer à la télévision. Il estime en outre que l’amorce d’un tel personnage n’est pas une obligation sous prétexte que le sujet est d’actualité : ”il ne faut pas chercher de manière marketing à être dans une vague”, insiste le producteur avant d’ajouter : “les homosexuels ont envie d’être représentés de façon normale”.

De nouvelles séries françaises pourraient bien changer la donne. “Tiger Lily” (Prix de la meilleure série au festival La Rochelle 2012), met en scène quatre femmes avec une question commune en tête : est-ce que tout est encore possible à l’approche de la cinquantaine ? Parmi elles, Muriel (porté à l’écran par Lio), une lesbienne qui vit en couple avec une femme de dix ans sa cadettte. Le couple a adopté un jeune africain de 13 ans. Une thématique au cœur de l’actualité. Pourtant “le personnage lesbien de Lio n’est pas militant et nous ne souhaitons pas qu’il soit instrumentalisé dans le cadre d’un débat national”, tient à préciser François Hitter, conseiller de programme à France 2. Même si le personnage de Muriel peut faire débat, ce n’est pas l’objectif de la production : “l’homosexualité n’est pas mise en avant et encore moins caricaturée. Nous centrons uniquement nos histoires sur ces femmes”.

Pour la scénariste Elsa Marpeau, les choses sont clairement en train de changer. “Ca devient de moins en moins un problème pour certaines chaînes car l’homosexualité est en train d’entrer, petit à petit, dans les mœurs”, juge-t-elle. Combien de temps faudra-t-il donc encore avant que la télévision française fasse confiance à son téléspectateur?

Source : http://teleobs.nouvelobs.com/articles/38868-les-homos-a-la-tele-le-retard-francais