Les communautés LGBT+ haïtiennes aux prises avec la construction du mur qui scinde leur île

Depuis février 2022, un mur frontalier est en cours de construction entre la République dominicaine et Haïti. Merlin Jean-Azémar, le directeur général de Héritage Pour La Protection des Droits Humains, organisation de défense des personnes LGBT+ située à Limonade, dans le nord de l’île, a voulu livrer à Stop Homophobie ses propres retours quant à l’impact de cette mesure décidée par le gouvernement dominicain en raison des troubles qui affectent en ce moment Haïti, avec la présence de nombreux gangs armés.

Merlin Jean-Azémar : « Nous gérons une ligne d’écoute dans mon association et globalement je peux dire que l’impact du mur ou des mesures de fermeture de frontière de la part des autorités dominicaines ont un impact significativement négatif sur la vie des personnes de la communauté LGBT+ haïtienne qui vivent en République Dominicaine. Il en est de même du racisme, ainsi que des diverses mesures visant à empêcher les haïtiens à accéder à des services de soins et d’éducation.

Pourtant les haïtiens de la communauté LGBT+ sont nombreux à vivre là-bas, dans un cadre où l’homosexualité est moins décriée qu’ici. Et en République Dominicaine, bien que les haïtiens soient rejetés par le gouvernement de Luis Rodolfo Abinader Corona, on les retrouve dans tous les secteurs d’activités et sans eux l’économie dominicaine ne fonctionnerait pas : agriculture, vente ambulante, travail dans les supermarchés, dans les restaurants, dans le tourisme ou encore dans les call-centers.

Concrètement, outre la construction du mur, la décision de fermer la frontière terrestre aux flux d’échange frontaliers, consécutivement au percement d’un canal d’irrigation sur un petit tronçon de la rivière du Massacre, côté haïtien, n’a fait qu’accentuer la corruption des militaires dominicains qui gardent la frontière. Souvent, en échange de quelques dollars, ils ferment les yeux et laissent les haïtiens passer, tandis que le marché binational de Dajabon qui était censé rapprocher nos deux pays, fonctionne au ralenti (N.D.L.R : la rivière du Massacre tient son nom d’un nettoyage ethnique survenu en 1937 qui a vu périr 20 000 haïtiens sur ordre du dictateur Rafael Leonidas Trujillo).

Au final, l’on peut dire que les communautés LGBT+ haïtiennes doivent faire face à des mesures de rétorsion du gouvernement dominicain qui ont pour effet de renforcer toutes les inégalités entre nos deux pays, alors que nous vivons paradoxalement sur la même île.

Moi-même, je suis un haïtien d’origine dominicaine et italienne et je parle couramment espagnol. Je suis un peu métissé et quand je me rends avec mon compagnon à Saint-Domingue (autre nom de la République Dominicaine), dès que l’on m’entend parler créole, il m’est plus difficile de pouvoir obtenir ne serait-ce qu’un ticket de bus au guichet par exemple. On me fait alors comprendre qu’il n’y a plus de billetterie ou qu’il faille que j’attende. Des problèmes qui ne m’arrivent jamais quand l’on ne m’entend m’exprimer qu’en espagnol.

Dans ce contexte, je plaide pour le renforcement du dialogue inter-gouvernemental. Pour sortir du renforcement des inégalités et du racisme structurel, il faudra aussi des pressions diplomatiques intenses, ainsi qu’une intégration politique et économique des territoires frontaliers. On a vu que c’est possible, lorsque les gouvernements de la région ont levé le ton suite à la décision en 2013 de la cour constitutionnelle dominicaine de révoquer de leur nationalité des centaines de milliers de dominicains d’origine haïtienne nés dans le pays depuis 1929, de parents entrés illégalement sur le territoire.

Enfin, je pense qu’il faut pouvoir transformer les mentalités et cela passe par la formation de la jeunesse, à travers des projets de rapprochement des sociétés civiles des deux pays, pour pouvoir créer des espaces de fraternité et de coexistence apaisée. La culture doit pouvoir jouer un rôle crucial là-dedans ».