L’Eglise, une famille éclatée par l’après-mariage pour tous

En apparence, les catholiques ont perdu avec la promulgation de la loi Taubira. Mais les évêques font valoir que le gouvernement a reculé sur la PMA et la GPA, pendant que d’autres regrettent que l’Eglise se soit trop montrée avec la droite pendant les manifestations.

Au moment où est célébré à Montpellier le premier mariage homosexuel, l’heure est au bilan dans une Eglise catholique qui a été, pendant des mois, le fer de lance de la contestation contre le mariage gay et l’adoption d’enfants par des couples de même sexe.

En apparence, la mobilisation des évêques, très précoce avec les interventions spectaculaires des cardinaux André Vingt-Trois, traitant le projet de loi de «supercherie», et Philippe Barbarin, assurant qu’il ouvrait la voie à toutes les dérives (inceste, polygamie), a été un échec retentissant. Le jugement mérite cependant d’être plus nuancé.

L’Eglise a manifesté son attachement aux principes les plus traditionnels de sa doctrine: protéger l’institution du mariage conçue comme l’alliance exclusive d’un homme et d’une femme et une société fondée sur la différence structurante des sexes. Le principe d’égalité n’autorise pas, pour elle, toutes les formes de vie commune et c’est dans le mariage qu’un homme et une femme inscrivent leur projet conjugal, leur intention de procréer et d’assurer une filiation.

Les évêques de France se réjouissent d’avoir posé ces questions, ouvert le débat sur le terrain «anthropologique», que certains, comme Henri Guaino, ont traduit en termes de «guerre de civilisations». Ce débat n’a pas été organisé sous la forme espérée d’un référendum, mais il faudrait être sourd et aveugle, ou de mauvaise foi, pour affirmer qu’il n’a pas eu lieu, au Parlement, dans les colonnes des journaux, sur les ondes et les écrans. Les évêques ne doutent pas que les reculs socialistes (provisoires?) sur la procréation médicalement assistée et la grossesse pour autrui ont été obtenus à la faveur de leur contestation.

Ils ont été entendus et suivis si on veut en juger par l’imposante mobilisation catholique des «manifs pour tous». Aura-t-on assez dit qu’au-delà de la provocation des groupuscules extrémistes et de la récupération politique des partis de droite, l’immense majorité des manifestants était composée de paroissiens venus affirmer leurs convictions et battre le pavé, avec leurs curés et parfois leurs évêques?
Le combat politique de l’église ne date pas d’hier

Des observateurs historiens et sociologues disent avoir assisté à un «réinvestissement» massif des catholiques dans la politique. Ce n’est pas faux, mais il ne faudrait pas confondre la défense de la famille et de valeurs éthiques avec un engagement partisan, ni oublier les mobilisations pour l’école libre (1984), contre le Pacs (1999) et les engagements, réguliers et discrets, des catholiques «sociaux» dans la défense des Roms et des migrants, des sans-papiers et des mal-logés. Le combat politique dans l’Eglise ne date tout de même pas d’aujourd’hui.

Son combat visant au retrait du projet de loi Taubira était toutefois perdu d’avance, non pas seulement à cause de l’avancée numérique socialiste à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais aussi de l’absence de leaders dans la «manif pour tous» autres que ceux de l’opposition de droite. Ce n’était pas aux évêques de prendre la tête des cortèges, mais quelle était la légitimité d’une Frigide Barjot? Et de cette nébuleuse d’organisations groupusculaires qui, autour d’elle, distribuaient les rôles et les mots d’ordre? Comment des évêques, nombre de prêtres et des centaines de milliers de catholiques ont-ils pu ainsi défiler sous la conduite d’une humoriste déjantée, récemment convertie?

La «manifestation pour tous» a manqué de ces grandes voix –celle du cardinal Jean-Marie Lustiger–, ou de ces forces d’encadrement –les associations de parents de l’école catholique– qui avaient assuré le succès des défilés de 1984, en province et à Paris, pour la défense de l’école libre contre les menaces de nationalisation du gouvernement de gauche.

La bataille d’opinion a aussi fini par porter tort aux manifestants. Les faits ont montré un accroissement des gestes et des insultes homophobes, dont il est difficile d’imputer la responsabilité aux croyants qui garnissaient le gros des cortèges. Les meneurs se sont gardés d’éviter le piège de l’amalgame entre opposition à la loi Taubira et homophobie, mais ils n’y ont qu’à moitié réussi. Ils ont été débordés par des courants extrémistes qui ont perverti les thèmes de la manifestation.

Dans ces conditions, il aurait été judicieux d’arrêter les frais plus tôt et de ne pas s’obstiner, au risque de lasser l’opinion, dans l’opposition à la loi, une fois celle-ci adoptée. Quelques évêques ont pointé le danger de se droitiser. Toute une fraction de la militance catholique a été indisposée par ce combat et l’engagement passionné de certains évêques manifestant à côté des dirigeants de la droite, sans parler des dérives violentes de l’extrême droite.
Clivages

Dans un article de La Croix du 22 avril, Claude Dagens, évêque d’Angoulême, estimé pour sa carrure intellectuelle, a écrit que «les responsables catholiques français seraient mal inspirés s’ils cherchaient à prendre en marche le train des poussées politiques, en essayant de faire plaisir aux ultras. Si cet opportunisme l’emportait, il faudrait en payer le prix dans quelques années». Son article avait un titre significatif: «Le catholicisme intransigeant, une tentation permanente».

Autre bémol apporté à la ligne officielle, Jean-Luc Brunin, évêque du Havre et président de la commission de la famille à la conférence des évêques, a aussi convenu, dans un texte du 14 mai, que «la dimension politique de la manifestation avait créé des clivages au sein de la communauté catholique, où certaines personnes ne se sont pas senties écoutées et respectées».

Il ne fait pas de doute que cet échec sur le mariage gay laissera des traces dans une Eglise plus que jamais divisée, avec une conscience plus aigüe qu’elle est minoritaire et peu écoutée dans une société française de plus en plus sécularisée. Le défaitisme est à l’ordre du jour. «Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme», a lucidement déclaré, le 16 avril, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris.

Face à cette conscience, deux attitudes se font jour et se combattent. D’un côté, des courants identitaires et néo-conservateurs, qui se saisissent de tous les débats de la société pour réaffirmer des valeurs catholiques. Ils veulent restaurer des règles et des points de repère touchant à l’éducation, à la vie familiale, à la sexualité, reconquérir une société sécularisée à l’extrême et déchristianisée, en perte de mémoire et de repères chrétiens.

D’un autre côté, les courants «progressistes» qui continuent de faire le pari de l’ouverture à la société moderne, veulent chasser les réflexes de citadelle assiégée, misent sur une transformation des structures de l’Eglise (plus de place aux femmes et à la délibération), rêvent moins de reconquête chrétienne que de ressourcement dans les intentions réformatrices du concile Vatican II, sur la fidélité aux pauvres et le rapprochement avec les luttes des hommes d’aujourd’hui. Y compris celles des homosexuels.

Henri Tincq

source:slate.fr/