Homosexualité : Comment les évangéliques abordent-ils la question ?

L’avancée des droits LGBT dans les pays les plus développés a contribué à radicaliser les positions de ces chrétiens conservateurs, et leurs discours de haine progressent dans de nombreux pays en développement. Mais, la réalité est moins manichéenne ; des courants réformateurs au sein même des évangéliques nuancent l’extrémisme des propos les plus médiatisés. C+H, le groupe chrétien de Dialogai, a invité le sociologue Philippe Gonzalez,  expert en religions, pour une conférence détaillant la perception de l’homosexualité par les évangéliques et ses répercussions politiques, le 13 janvier prochain. à Dialogai.

Contrairement à une idée répandue et largement justifiée, vu la position défendue durant ces quarante dernières années, les Eglises évangéliques américaines ne sont plus des ennemies inconditionnelles des homosexuels. A la faveur de coming out de proximité qui se sont généralisés en 2014, la nouvelle génération d’évangéliques américains, celle qui a entre 20 et 30 ans, a assoupli son regard sur cette communauté jusqu’alors considérée par ses aînés comme possédée par le démon.

Cette bonne nouvelle, c’est Philippe Gonzalez qui la délivre à la veille d’une conférence qu’il donnera mardi prochain à Dialogai, association homosexuelle basée à Genève. Sociologue et spécialiste des religions dans l’espace public, cet enseignant à l’Université de Lausanne est l’auteur de Que ton règne vienne. Des évangéliques tentés par le pouvoir absolu, sorti l’an dernier aux Editions Labor et Fides. Autant dire qu’il surveille de près ce protestantisme conservateur, parfois tenté par le créationnisme. Ouverture, donc, aux Etats-Unis, mais aussi chasse à l’homme en Afrique et discrimination en Asie ou en Amérique latine. Et en Suisse?

Le spécialiste dresse la carte des tendances.

Le Temps: Des chiffres, tout d’abord. Combien y a-t-il d’évangéliques dans le monde? Et quels sont leurs profils?
Philippe Gonzale z :
On dénombre 500 millions de fidèles, soit un quart des chrétiens à l’échelle mondiale. 70 millions d’entre eux résident aux Etats-Unis, en particulier dans le Sud, dans la «Bible Belt». Ils sont les héritiers du fondamentalisme protestant du début du XXe siècle. En Suisse, les évangéliques représentent 3% de la population totale, soit 240 000 fidèles. Le mouvement est en forte croissance en Afrique, en Asie et en Amérique latine, ce dernier continent voyant les déçus du catholicisme se tourner vers cette mouvance parfois très charismatique. Ce qui est surtout parlant, c’est l’engagement de ces chrétiens. En Suisse, 80% d’entre eux sont pratiquants, alors que 10% des autres chrétiens de Suisse fréquentent régulièrement le culte ou la messe. Et ceci encore: le courant charismatique des évangéliques est connu pour ses rassemblements géants, avec des réunions pouvant réunir plus de 10 000 personnes en Corée du Sud, en Australie et aux Etats-Unis.

Justement, quand on pense aux mouvements évangéliques, on a cette image de prédicateurs américains allumés, qui mettent une foule en transe avec un psaume d’adoration au Lord tout-puissant. Est-ce une fausse idée?

L’influence des évangéliques américains sur le reste du monde est une réalité et n’a cessé d’augmenter depuis la Seconde Guerre mondiale, en raison du poids de ces croyants dans ce pays, mais aussi de la prééminence, entre autres économique, dont dispose cette nation. Ce qui leur a permis d’envoyer des missionnaires sur tous les continents, mais aussi de diffuser leurs idées et, avec elles, leurs «guerres culturelles». Or, au rang de ces «guerres culturelles», on trouve deux thématiques: la sauvegarde de la famille traditionnelle et la lutte contre l’avortement. Les évangéliques suisses souhaitent se démarquer de cette influence en se revendiquant d’une tradition qui remonte à la Réforme du XVIe siècle, ce qui est en partie vrai, mais lorsqu’on se rend dans les librairies évangéliques locales, on s’aperçoit qu’une grande part de leur littérature est traduite de l’anglais ou influencée par ce qui se fait dans le monde anglo-saxon.

Quelle est la position des Eglises évangéliques concernant l’homosexualité?

Généralement, les évangéliques considèrent l’homosexualité comme un péché. Ils se prononcent donc contre le mariage homosexuel et contre l’homoparentalité. Cette position vient d’un constat très simple: l’ordre instauré par Dieu lors de la création d’Adam et d’Eve est celui du couple hétérosexuel, l’homosexualité est donc considérée comme une déviance, une conséquence de la chute hors du paradis originel. Par ailleurs, divers passages bibliques semblent condamner l’homosexualité – c’est du moins ainsi que les lisent les évangéliques.

Quelles conséquences découlent de cette conviction?

Ça dépend des pays. Aux Etats-Unis, les évangéliques ont imaginé des ministères de guérison, des organismes qui se donnent pour tâche de soigner l’homosexuel de son péché. Les modérés le font par la psychothérapie et l’accompagnement, offrant une sorte de cadre, tandis que les courants charismatiques, convaincus de l’existence d’entités surnaturelles, se livrent parfois à des rituels plus proches de l’exorcisme visant à libérer l’homosexuel d’une emprise démoniaque. Ce n’est déjà pas drôle, mais les choses se durcissent encore en Afrique, Ouganda en tête. De véritables chasses aux homosexuels et des lynchages sont encouragés par des activistes évangéliques africains: les noms d’hommes et de femmes à abattre ont été livrés en pâture dans les journaux. Ce n’est pas l’affaire d’individus épars, mais bien le fait de réseaux organisés.

Et en Suisse?

Chez nous, les évangéliques sont plutôt embarrassés par la question homosexuelle, alors qu’ils s’expriment clairement contre l’avortement. A l’exception de l’Union démocratique fédérale, un parti évangélique conservateur qui essaie de lutter contre le mariage homosexuel par voie d’initiative populaire, les autres évangéliques se contentent de dire à 90% que l’homosexualité est une erreur, mais sans préconiser de mesure politique.

La situation évolue aux Etats-Unis, disiez-vous en préambule…

Oui, et de façon spectaculaire! La génération d’évangéliques nés dans les années 90 témoigne d’une ouverture inédite à l’égard des homosexuels. Un virage adopté aussi par David Gushee, un des grands éthiciens évangéliques américains, qui a opéré ce revirement l’an dernier, en lien notamment avec le coming out de sa sœur. La position actuelle de ces modérés dit ceci: l’homosexualité ne concerne pas la majorité de l’humanité, mais elle n’est pas pour autant un péché. Dans cette même idée, Exodus International, un ministère de guérison américain lancé comme les autres dans les années 70, a mis la clé sous la porte et s’est excusé publiquement d’avoir discriminé et traumatisé des générations d’homosexuels.

Vu l’influence des Etats-Unis sur le reste de la planète, peut-on imaginer que les évangéliques vont très vite se montrer plus progressistes que les chrétiens traditionnels sur cette question?

Oui, ce ne serait pas impossible, d’autant que, pour ce qui est des catholiques, le pape François prône une prise en charge pastorale plus accueillante, mais sans toucher à la doctrine sur ces questions. Avec les changements de valeurs morales que connaît notre société, on peut redouter que les évangéliques choisissent la voie de la radicalisation et foncent tête baissée dans les «guerres culturelles». Mais il est aussi possible que ces croyants saisissent l’occasion pour reconsidérer leur lecture de la Bible et s’ouvrir à des interprétations plus favorables à l’homosexualité.

L’homosexualité dans les milieux évangéliques, 13 janv., 20h., Dialogai, Genève, www.dialogai.ch

Par Marie-Pierre Genecand