ETATS-UNIS – Des quinquagénaires infectés dans les années 80 racontent leur (sur)vie malgré le VIH/sida

Au début des années 1980, le virus VIH fait des ravages dans la communauté gay, à New York notamment. Certaines personnes malades ont pourtant survécu. Ils témoignent dans un livre de Perry Halkitis, professeur de psychologie à la New York University [«The AIDS Generation: Stories of Survival and Resilience», Oxford University Press, 2013], rapporte ce jour LeTemps.ch.

Décembre 2012, Spencer Cox arrive aux urgences d’un hôpital de Harlem. Il est squelettique et peine à respirer. Son système immunitaire a cessé de fonctionner. L’homme de 44 ans, qui vit avec le sida depuis le milieu des années 80, est décédé cinq jours plus tard. Ce militant historique de Act Up, qui s’est battu durant des années pour obtenir l’homologation des traitements antirétroviraux, avait tout simplement cessé de prendre les médicaments qui le maintenaient en vie. Il n’en pouvait plus de lutter.

Ce décès tragique jette une lumière crue sur la génération de Spencer Cox. «Il y a environ 50000 personnes infectées de longue date aux Etats-Unis», détaille Perry Halkitis, un professeur de psychologie à la New York University qui vient de leur consacrer un ouvrage* et qui est lui-même séropositif. «La plupart ont la cinquantaine, ont contracté la maladie au début des années 80, sont gays et vivent dans les grands centres urbains comme New York ou San Francisco.»

Cette «génération sida» est composée d’une minuscule cohorte de survivants. La plupart des personnes infectées entre 1981 et 1996, au sommet de l’épidémie, sont décédées. «Devenir séropositif était à l’époque l’équivalent d’une condamnation à mort, se rappelle Perry Halkitis. Les médecins vous donnaient en général deux ans à vivre.» L’un des hommes à qui il donne la parole dans son livre avait 40 amis infectés: en 1991, il en restait 20; aujourd’hui, 3.

Mais tout a changé en 1996, avec l’avènement des antirétroviraux. Les personnes diagnostiquées aujourd’hui ont une espérance de vie de 75 ans, contre 82 ans pour le reste de la population. «Ce que ces malades ont vécu ne se reproduira jamais plus, il s’agit d’une génération unique dans l’histoire de l’humanité», souligne le professeur. Agée aujourd’hui de la cinquantaine, elle est écrasée par le poids de cet héritage.

«La plupart de ces gens ont perdu tout leur cercle social, indique Perry Halkitis. Ils sont partis au front et peinent à retrouver une vie normale maintenant que la paix est revenue.» Il les compare aux vétérans des guerres en Afghanistan et en Irak ou aux survivants de l’Holocauste «qui n’ont jamais quitté les camps». Le professeur a mesuré le taux de stress post-traumatique auprès d’un échantillon de sidéens qui ont vécu les pires années de l’épidémie: il était de 20%. A titre de comparaison, il atteint 12 à 15% chez les rescapés des attentats du 11 septembre 2001.

Ces hommes souffrent aussi de maux physiques. «L’âge cumulé à la maladie provoque chez eux des problèmes cardio-vasculaires, des cancers, du diabète, de l’arthrose et des pertes de mémoire», indique le docteur Paul Bellman, qui a fait partie de l’équipe qui a soigné le premier patient du sida new-yorkais, en 1980, et qui a désormais de nombreux séropositifs d’âge mûr parmi ses patients. «Ils subissent en fait une forme de vieillissement accélérée.» Ce sont des hommes de 50 ans dans le corps d’octogénaires.

Les effets sur le long terme des antirétroviraux – surtout ceux de première génération, plus toxiques – ne sont pas non plus connus. «Ils peuvent causer des problèmes au foie, des calculs rénaux, de l’ostéoporose et une déformation corporelle appelée lipodystrophie (les joues se creusent et l’abdomen gonfle, ndlr)», note le médecin. Persuadés qu’il ne leur restait que peu de temps à vivre, certains de ces séropositifs ont en outre dépensé toutes leurs économies, abandonné leur carrière ou noyé leur désespoir dans la drogue et l’alcool. «Ils se retrouvent aujourd’hui à vivre au jour le jour, peinant à nouer les deux bouts», dit Perry Halkitis.

Pour en savoir plus sur Spencer Cox, militant historique de la lutte contre le VIH/sida aux Etats-Unis, lire l’article de Seronet.info (Extraits traduits par Grace Cunnane) :

http://www.seronet.info/article/survivre-au-sida-mais-pas-la-vie-qui-en-suivi-60154

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