Entretien. Les entraîneur-e-s face à l’homophobie et aux violences sexuelles : une étude édifiante

Département pilote pour lutter contre toutes les formes de discriminations dans le sport, la Seine-Maritime se veut aussi précurseur dans les actions mises ou à mettre en place. Car la lutte contre l’homophobie et les violences sexuelles ne fait que démarrer. C’est ce qui ressort de l’étude publiée hier par Anthony Mette, psychologue du sport à Bordeaux, qui a interrogé plus de 200 entraîneurs. « Cette étude a révélé que 100 % des entraîneurs étaient touchés par les violences au sens large. »

Cette étude met en lumière les discriminations dont l’homophobie. Est-ce qu’il y a des sports plus touchés que d’autres ?

Anthony Mette : « C’est compliqué. On sait surtout que l’homophobie est différente entre les filles et les garçons dans la mesure où les filles sont plus tolérantes. Les garçons ont plus de propos à caractère homophobe ou virulent envers des comportements perçus comme féminins ou homosexuels. On sait également que plus on monte de niveau de compétition, plus les propos vont être virulents. »

On a l’impression, dans le football notamment, que ce sujet reste très tabou ?

« Dans le sport, le sujet est totalement tabou. Les choses évoluent depuis cinq ans mais cela reste compliqué pour plusieurs raisons. Le sport est le terrain du conservatisme. Il y a beaucoup d’entraîneurs hommes sur le terrain, de nombreux présidents de fédération sont des hommes, souvent assez âgés et qui n’ont pas envie de parler de ce problème. C’est un problème du sport et de renouvellement des encadrants. »

« Le sport féminin plus tolérant »

Est-ce difficile aujourd’hui de dire : je suis homosexuel ?

« Pour une fille, ce n’est pas si difficile que ça. On a interrogé beaucoup de coaches qui nous ont dit qu’ils avaient des filles lesbiennes. Dans les différents travaux que j’ai pu mener avant, on a montré que le sport féminin est beaucoup plus tolérant. Cela reste compliqué pour les garçons. Je ne dis pas impossible. Chez les adultes, on est plus indépendant. Pour les jeunes, dans des structures d’accès au haut niveau ou à plus petit niveau, ce n’est pas facile. L’âge, l’adolescence, le phénomène de groupe ne facilitent pas. C’est d’autant plus compliqué si l’entraîneur ne montre pas envers ça une forme d’ouverture. »

Quel discours tenez-vous à un entraîneur ou à un sportif ?

« Un entraîneur doit absolument parler de l’homosexualité. C’est la base. A l’avenir, les entraîneurs devront s’occuper, certes, de la partie technique, physique et tactique mais aussi de la partie santé et gestion du quotidien du groupe et de l’éducation. On a mis un peu de côté la partie éducation dans le métier d’entraîneur. Il faut que les futures formations soient axées sur cet aspect et que les entraîneurs aient chaque début de saison un discours sur les comportements et le respect à avoir en club. Pas seulement sur le respect des horaires et des tenues vestimentaires, ce que l’on dit aux autres, aux arbitres et le fair-play en général. »

Est-ce que certains entraîneurs vous ont fait part de leur désarroi ?

« Dans le département de Seine-Maritime, j’ai pu voir certains entraîneurs qui avaient déjà mis en place un certain nombre d’actions. Mais ce n’est pas la majorité. Certains se sentent intéressés mais démunis dans la mesure où ils ne sont pas formés. C’est toujours difficile de gérer un groupe métissé. Cela s’apprend. »

Concernant les violences sexuelles, il y a également une grosse chape de plomb avec un rapport entraîneur – entraîné très fort ?

« Il y a deux sortes de violences sexuelles dans le sport. Les violences horizontales, c’est-à-dire entre sportifs, que l’on retrouve souvent chez les garçons avec le bizutage qui peut déraper en violence sexuelle. Il y a aussi les violences verticales, d’entraîneur à entraîné, on se rend compte que ces violences touchent plus les filles que les garçons. »

Propos recueillis par Richard Avenel

Un témoignage poignant

Les violences sexuelles, Karine, responsable d’un centre équestre seinomarin les a découvertes de manière brutale il y a deux ans et demi. Alors qu’elle profitait des vacances de Noël, son environnement s’est lézardé après le dépôt de plainte d’une élève contre l’un des moniteurs salariés du centre équestre. « Notre monde s’écroule. On prend vraiment une gigantesque claque dans le visage et on est complètement abasourdi. On est aussi démuni devant ce genre de problème. Moi, j’ai choisi de ne rien cacher, de contacter tous les services de l’Etat et les différents organismes pour obtenir de l’aide, savoir quoi faire. Je ne voulais surtout pas faire de langue de bois. J’ai attaqué le problème de front et nous n’avons pas perdu le moindre adhérent. Dans notre sport, l’équitation, la difficulté première est la mixité. C’est le seul sport qui fonctionne comme ça. Il y a aussi ce que l’on appelle le syndrome de la veste rouge, l’homme avec sa belle tenue de concours sur son grand cheval qui regarde les filles et les filles qui le regardent. L’aura du moniteur, du cavalier. Je veux que la responsabilité des employeurs ait des limites. On ne peut pas tout faire. Personnellement, depuis cette affaire, j’ai refait tous les contrats de travail. J’ai demandé à mes salariés qu’ils ne soient pas en présence unique d’un ou d’une élève sans avoir un témoin, de ne pas avoir de contacts avec les stagiaires ou les sportifs en dehors du travail, qu’il y ait une vraie frontière entre l’entraîné et l’entraîneur. A un moment, comme il n’y a pas beaucoup de limites, c’est à nous d’en remettre. Je n’ai pas eu le temps de faire face à la rumeur car la meilleure défense, c’est l’attaque. J’ai prévenu tout le monde. Plus les gens étaient langue de vipère, plus je leur disais tu vas avoir un beau scoop à raconter mais dans ces termes-là. Si jamais j’entends parler de pédophilie, de viol, c’est au tribunal que je traîne. J’ai vraiment passé quatre jours à faire ça. »