#Cinéma “Jacky au royaume des filles” ou le monde à l’envers de Riad Sattouf :)

En république démocratique et populaire de Bubunne, les femmes ont le pouvoir, commandent et font la guerre, et les hommes portent le voile et s’occupent de leur foyer. Parmi eux, Jacky, 20 ans, a le même fantasme inaccessible que tous les célibataires de son pays : épouser la Colonelle, fille de la dictatrice, et avoir plein de petites filles avec elle. Mais quand la Générale décide enfin d’organiser un grand bal pour trouver un mari à sa fille, les choses empirent pour Jacky : maltraité par sa belle-famille, il voit son rêve peu à peu lui échapper…
>> Changement de registre pour Riad Sattouf qui signe ici son second long métrage quatre ans après le savoureux Les Beaux Gosses, auréolé du succès critique, public et du César du meilleur premier film. Ce talentueux auteur-dessinateur de bande dessinée de 35 ans nous plonge ici dans le monde imaginaire d’une de ses histoires courtes de sa série d’albums Pascal Brutal. Jacky au Royaume des Filles a dès le départ le mérite de mettre en exergue ce qui peut souvent manquer au cinéma français : c’est audacieux, inventif et original. Car il est question ici de suivre des personnages évoluant dans un système répressif et conservateur d’une république démocratique et populaire, où les femmes détiennent tous les pouvoir face à des hommes désormais soumis aux règles imposées – comme se marier contre leur gré –, aux tâches ménagères du foyer et à se pomponner. Mais Riad Sattouf va plus loin dans la conception de ce royaume de Bubunne, gouverné d’une main de fer par la Générale (Anémone) aux côtés de sa fille la Colonelle (la belle Charlotte Gainsbourg), bien plus douce et calme, pour laquelle le jeune garçon en fleur Jacky (Vincent Lacoste) déploie tous les moyens inimaginables pour devenir l’élu de son cœur. Le cinéaste ancre l’action dans une réalité alternative d’un village primitif existant de Géorgie et ajoute au décor un panachage de symboles, d’uniformes et d’accessoires représentatifs du totalitarisme, situé entre la Corée du Nord et la Russie stalinienne, tout en inventant un vocabulaire et un alphabet spécifiques.

Avec toujours pour thématiques l’adolescence, la figure parentale et la remise en question, Riad Sattouf nous livre ainsi une comédie sentimentale atypique aux allures de fable sociale et politique sur fond du conte de fées de Cendrillon. Jacky au Royaume des Filles devient une intéressante allégorie contemporaine sur l’autorité des sexes, l’oppression, la domination/soumission, le refoulement, le conformisme et la pensée unique, mais aussi sur le courage, la force et la liberté d’aimer. Notre beau gosse Vincent Lacoste – ici plein de délicatesse et d’obligeance – révèle son physique androgyne, vêtu de pied en cap par des ‘voileries’ – renvoyant à la burqa – aux couleurs rouge et orange safran rappelant les kesas bouddhistes. A ses côtés, un casting détonant : Michel Hazanavicius (THE ARTIST – notre critique) est tout en séduction dans son rôle d’oncle/bonne fée en mode prostitué. Valérie Bonneton est dérangeante en militaire lubrique. Quant à Noémie Lvovsky, elle est efficace en méchante belle-mère autoritaire mariée à un Didier Bourdon ici lâche, hypocrite et veule, avec pour l’un des deux fils mesquins, l’autre beau gosse Anthony Sonigo.

Riad Sattouf détourne avec intelligence toutes ces formes dictatoriales dans ce royaume voué au culte du chevalin/poney aux pouvoirs télépathiques. Mais s’il propose un concept inversé – comme un peu le thriller White Man les Noirs détenaient le pouvoir et les Blancs étaient au plus bas de l’échelle sociale -, on peut lui reprocher justement de ne pas pousser plus avant son exploration. Le cinéaste se contente finalement de rester en terrain balisé mettant en scène des femmes réagissant comme des hommes, à l’instar de cette scène avec Valérie Bonneton se caressant l’anatomie devant Jacky, ligoté contre un arbre par deux femmes militaires. C’est sans doute ce qui limite vraiment le potentiel de Jacky au Royaume des Filles dans sa réflexion sur le matriarcat reprenant à l’identique le modèle patriarcal. De même, les quelques gags et dialogues loufoques – si bien écrits soient-ils – peinent souvent à atteindre leur cible.

Nonobstant ces quelques défauts et/ou imbroglios dans le scénario, Riad Sattouf évite soigneusement l’aspect moralisateur et sa verve comique trouve son terrain d’expression sur différentes tonalités ; de la première partie à l’atmosphère un peu glaçante saupoudrée d’humour noir, jusqu’au dernier acte bien plus optimiste et léger. Certaines séquences sont par ailleurs visuellement superbes à l’instar de celle où Charlotte Gainsbourg, en ce jour du grand bal des Gueux de la Bubunnerie, est entourée d’une myriade d’hommes en ‘voilerie’ blanche, fins prêts aux épousailles, secouant leur laisse reliée au cou pour devenir l’éventuel élu. Si l’on préférait la vivacité et la drôlerie des Beaux Gosses, Riad Sattouf conçoit ici une œuvre singulière qui résonne comme un appel à la tolérance. A la fois teinté d’une naïveté touchante tout en dénonçant les conventions, les vieux schémas, l’absurdité des idéologies extrémistes et la bêtise d’une nature humaine aux prises à l’asservissement et aux inégalités, Jacky au Royaume des Filles parvient à se démarquer dans le paysage cinématographique français en ce début de nouvelle année.

Jacky au royaume des filles, de Riad Sattouf, France, 1h30, avec Vincent Lacoste, Charlotte Gainsbourg, Didier Bourdon, Anémone, Valérie Bonneton, Michel Hazanavicius, Noémie Lvovsky, Laure Marsac, William Lebghil, Anthony Sonigo. Sortie le 29 janvier 2014.

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Jacky au Royaume des Filles de Riad Sattouf: critique