Le VIH touche un grand nombre d’hommes homosexuels depuis trente ans. Depuis les années 1980, nombre d’entre eux se sont mobilisés pour lutter contre cette épidémie, pour leurs droits, pour la diversité. Diversité sexuelle, diversité ethnique, diversité sérologique, diversité de vécus et de parcours, tout simplement. AIDES a donné la parole à trois d’entre eux parce que ceux qui mènent ce combat, ces parcours qui nous différencient, autant qu’ils nous rassemblent, ne doivent pas être oubliés.
Du Cameroun à la Suisse, Hugues se bat pour vivre
Hugues a 42 ans. Il a quitté le Cameroun il y a deux ans suite à des violences et des menaces en rapport avec son orientation sexuelle. Au pays, Hugues était gérant d’entreprise. Il vivait une vie moderne et fréquentait le monde des affaires. Au moment des faits, cela faisait déjà trois ans qu’il vivait son homosexualité, mais cachée, comme tout le monde. Là-bas, les hommes se rencontrent le soir, la nuit, au centre ville. La journée ce n’est pas possible, les hommes ne peuvent pas s’afficher, selon Hugues, car une fois dénoncés ils reçoivent systématiquement des injures, si ce n’est pire. Voilà une différence importante qu’il relève par rapport à la Suisse.
Hugues a fui le Cameroun pour échapper à une loi qui réprime les homosexuels. Lorsqu’il a été dénoncé à la police par ses voisins, qu’il a subi leur violence et leurs coups, Hugues a décidé de quitter sur le champ son pays. Il savait que s’il restait il finirait en prison, comme ce fut le cas pour son partenaire qui n’a pas pu s’enfuir, et qui a été incarcéré plusieurs mois. Son départ a été précipité, il était déjà recherché. La fuite vers l’Europe s’est faite par la mer. Depuis l’Italie, il rejoint la Suisse, où il va directement à Vallorbe faire valoir ses droits de requérant. Enregistrement, auditions à répétition, justification des traces de coups, des blessures, au bras, à la tête, récit de sa vie d’avant et de son homosexualité. Hugues est alors affecté au canton de Fribourg et s’installe dans un centre pour requérants d’asile. Il recevra assez vite une réponse à sa demande : négative. Il fait un recours, mais on lui reproche de ne pouvoir prouver son homosexualité. Et c’est la décision qui tombe, non entrée en matière. Il doit à présent quitter le territoire suisse. Il pointera régulièrement au Service de la population et des migrants de Fribourg jusqu’au jour où on lui signale sa prochaine étape, case détention, prison centrale de Fribourg. C’est le comble pour lui qui a fui le Cameroun afin d’échapper à un emprisonnement certain, c’est ici en Suisse qu’il finira par être incarcéré, un mois durant, faute d’avoir été cru ou d’avoir su convaincre…
Suite à cela, Hugues a réussi à réunir de nouvelles preuves, les photos de son bureau, du snack saccagé où il rencontrait son ami, ou encore la note de levée de détention de ce dernier libéré sur caution depuis. Nouveau recours, cette fois considéré, nouvelle demande d’asile depuis le mois d’août dernier. Hugues a retrouvé son centre de requérant où il attend. Il s’organise comme il peut. Il a rencontré un autre Camerounais homosexuel, mais qui ne vit pas dans la même ville que lui. Il fréquente l’association Empreinte, l’antenne de lutte contre le sida à Fribourg, mais aussi le groupe organisé avec l’association homosexuelle Sarigai. Au programme discussion, bavardage et soirées conviviales. Il est aussi investi dans la défense des droits des sans papiers et là ce sont réunions et manifestations au programme. Au centre de requérant l’ambiance est bonne. Mais il ne peut pas tout partager avec les autres résidents. Alors il vit un peu à part.
Côté VIH, Hugues est séronégatif, il a déjà fait deux tests au Cameroun. Il prend soin de lui, il fait ses bilans, il s’est fait vacciner contre l’hépatite B. Le VIH, il connaît. Là-bas, au Cameroun, il a vu des gens mourir, mais par crainte de la honte, beaucoup cachent la maladie. Selon lui, le sida chez les homosexuels au Cameroun touche aussi plus ceux qui sont précarisés. En homme combattant, il a retrouvé l’envie de vivre. Il pense au futur, à un travail et même à refaire sa vie.
Ludovic, armé contre ce qui enferme dans la peur
Ludovic est Suisse. Il vit en Suisse romande avec son copain avec qui il est depuis cinq ans. Ils ont tous les deux une relation libre. En d’autres termes, chacun fait ce qu’il veut de son côté car ils ont aussi chacun leur sexualité et leurs fantasmes qu’ils ne partagent pas ensemble. Ludovic est un gaillard trentenaire épanoui, il trouve son équilibre ainsi, même s’il reconnaît qu’il aimerait pouvoir vivre sa sexualité un peu plus avec son mec et moins à côté, ce serait pour lui un idéal de relation de couple. Mais Ludovic est réaliste, chaque relation est différente et avec son ami ça se passe bien comme ça, même si c’est aussi chacun dans son coin. Ludovic a pris le parti de s’éclater et de bouger, alors ses rencontres il les fait par internet et il voyage, notamment en Europe, pour retrouver ses amants.
Ludovic est un personnage attachant et qui surprend par son discours envers ses amis ou ses amants séropositifs. Il a ce discours sans détour et surtout qui dénote avec les idées reçues ou passéistes qui peuvent encore si souvent étonner et agacer. Alors lui quand il tchatche avec un mec il apprécie quand l’autre lui fait part de sa séropositivité, ça lui permet aussi de le questionner sur son traitement. Pour Ludovic c’est une stratégie de réduction des risques. Le traitement comme une prévention, pour lui, ce n’était qu’une théorie tant qu’il n’avait pas d’amis ou de connaissances séropositifs. Puis un jour, tout a changé. Lors d’une relation avec un homme séropositif il a cru être exposé à un risque d’infection. Il a commencé un traitement d’urgence et l’a arrêté après trois jours car son partenaire était indétectable. A ce moment là ce n’était plus seulement de la théorie. Aujourd’hui il en parle naturellement, avec ses amis séropositifs, il se surprend même en pensant : « Ah, oui c’est vrai ils sont séropos ! »
Alors voilà, Ludovic vit sa sexualité sans peur. De toute façon il le dit bien, lui, n’a jamais été parano. Il se protège et s’il lui arrive de prendre un risque, il ne va pas « en faire une maladie ». En revanche sa santé lui importe beaucoup. Ne pas avoir peur ne signifie pas qu’il se fout de tout. Bien au contraire, Ludovic se tient informé sur les différentes infections sexuellement transmissibles. Par exemple, il connaît les gonorrhées et les chlamydias qu’il a déjà eues à traiter. Ces IST ne lui font pas peur, car il sait que celles-ci se soignent sans difficulté. Il est « conscient et assume qu’en ayant de multiples partenaires le risque d’être en contact avec est malheureusement inévitable ». Pour la syphilis c’est différent, il ne veut pas passer à côté d’une infection alors il se fait dépister deux à trois fois par an, comme pour le VIH.
Dans son entourage amical en revanche certaines choses sont plus difficiles à discuter. Par exemple, le sexe non protégé. Selon lui la lutte contre le sida a tellement fait peur aux gays et dit qu’il « fallait » se protéger, qu’après cela, avoir du sexe non protégé c’est avouer que l’on a fauté, même si cette morale stigmatisante est moins forte entre partenaires sexuels car la prise de risque est partagée. Lorsque Ludovic tchate, les discours diabolisant ceux qui ont des rapports non protégés, l’énervent. La dénonciation sur les réseaux sociaux gays de ceux qui ont des rapports non protégés est pour lui une forme de victimisation des dénonciateurs eux-mêmes : « Eux n’ont rien fait pour, ils ne sont jamais responsables ! » Ludovic est tranché dans son discours, mais il montre beaucoup de respect envers les personnes qu’il décrit. C’est un combattant passionné, armé, contre ce qui enferme dans la peur. Il prend soin de lui et ne semble pas moins penser aux autres.
Sébastian, sur le fil de sa vie
Sebastian est un jeune retraité. Espagnol, il partage sa vie entre son pays et la Suisse. Sebastian est très discret sur sa vie, comme s’il avait l’habitude de ne pas trop en montrer, ne pas trop en dire. Il n’a plus d’activité professionnelle depuis qu’il a découvert sa séropositivité. Il est alors tombé dans une dépression qui l’a contraint à prendre soin de lui.
Aujourd’hui, il parle de sa vie en positif. Sa vie, au jour le jour, va bien. Avec sa famille, les relations sont bonnes. Quand il parle d’elle c’est le mot « fantastique » qui s’élève. Depuis qu’il leur a parlé de sa maladie il sent même que cela les a rapprochés. Côté sentimental, Sebastian a un parcours plus douloureux. C’est pour cela qu’il nous en dira peu, cela lui fait mal. Pendant 25 ans, il vivra avec un homme et une femme. Pendant 25 ans, il a vécu « heureux et privilégié » selon ses mots. Mais il y a eu le sida. Là, sa parole se durcit pour parler de la « trahison, l’infidélité » de son partenaire, puis son décès. Dans sa vie et ses choix, il ne s’est jamais senti jugé, même s’il reconnaît qu’ils ont toujours été discrets tous les trois : « Les gens savent, mais ils ne posent pas de question ».
Aujourd’hui, Sebastian n’a plus vraiment de vie sentimentale. En Espagne, il a une amie, ils se voient souvent. Elle aussi est séropositive. Ils passent de bons moments ensemble et se soutiennent mutuellement. Mais ce n’est pas l’amour qui vibre dans le cœur de Sebastian quand ils sont dans l’intimité de leur couple. Dans son « autre » pays, Il a bien rencontré quelqu’un, un homme, mais il ne se décide pas à aller de l’avant dans cette relation, bien qu’il se sente amoureux. Comme avec sa famille, Sebastian est prêt à partager son vécu et à parler de sa séropositivité. Ces derniers mois, il s’est engagé comme volontaire dans une association de lutte contre le sida, en Suisse. Il cherche aussi en Espagne comment lutter, à son niveau, contre le VIH. Sebastian vit bien ; il prend soin de lui. Il est sportif et fait attention à son équilibre. Il pense qu’il n’a jamais autant pris soin de lui que depuis qu’il est séropositif. D’ailleurs, au niveau santé, ça se passe bien. Il est suivi en Espagne, par une équipe qu’il estime beaucoup. C’est même pour cette raison qu’il n’arrive pas à se décider à quitter l’Espagne. Et puis, il aime jongler, dans sa vie, entre ces deux pays, comme un équilibriste sur un fil, le fil de sa vie.