Amérique latine : En Colombie, le mariage gay n’a pas fini de faire parler de lui

En Colombie, la classe politique a enterré une proposition de loi autorisant le mariage gay avec la bénédiction de l’Eglise, mais le débat est loin d’être fini et pourrait tourner au casse-tête dans ce pays pionnier d’Amérique latine pour les unions civiles entre homosexuels.

Après des mois de discussions houleuses, parfois terminées à coups de poing, le Sénat colombien a finalement rejeté le 24 avril dernier par 51 votes contre 17, ce projet pourtant défendu par un parlementaire de la majorité de centre-droit, Armando Benedetti, qui a aussitôt dénoncé un “congrès homophobe”.

Le texte avait été vivement critiqué par l’épiscopat colombien, très influent dans un pays où 80% des 47 millions d’habitants sont catholiques. Dans une lettre publique, il en avait appelé à la “conscience” des élus, leur demandant de soutenir “le seul et vrai mariage, constitué par l’union d’un homme et d’une femme”.

“C’est incroyable qu’au parlement de la République, près de 80% des interventions se réfèrent à des arguments religieux”, s’indigne Marcela Sanchez Buitraga, présidente de “Colombie Diversité”, la principale ONG qui défend la communauté homosexuelle.

“Le mariage gay ne dérange pas les gens, c’est ce qu’on entend dans les déjeuners en famille, c’est ce qu’on vu avec les manifestations dans les rues. L’Eglise se prend pour le porte-parole de la société, mais c’est faux”, ajoute-t-elle.

La majorité des sénateurs du parti de l’Unité nationale, la formation au pouvoir, s’étaient aussi opposés malgré l’engagement du sénateur Benedetti, à la proposition de loi. Pour l’un deux, Carlos Soto, “la société colombienne n’est pas prête psychologiquement à assumer ce type de mariage”.

De son côté, le gouvernement du président Juan Manuel Santos, tout en condamnant les discriminations, avait prudemment laissé aux parlementaires le soin de trancher. Une position justifiée par le ministre de l’Intérieur Fernando Carrillo selon qui “le débat ne doit pas diviser le pays”.

Les regards se tournent désormais vers la Cour constitutionnelle qui avait créé la sensation en accordant dès l’année 2007 aux couples homosexuels les mêmes droits sociaux et patrimoniaux que ceux dont bénéficient les unions libres hétérosexuelles.

Cette même Cour avait fixé au parlement un délai, courant jusqu’au 21 juin 2013, pour se prononcer sur le mariage. Le vote du Sénat, qui n’en a pas exclu officiellement le principe, pourrait toutefois déboucher sur un casse-tête.

Benedetti prédit “le chaos, le désordre et la confusion” en juin, quand les couples homosexuels “vont aller voir le notaire. Selon lui, “certains reconnaîtront le mariage égalitaire, et d’autres non. C’est pourquoi la Cour constitutionnelle doit trancher”.

Le chef du parquet colombien Eduardo Montealegre, reconnaît lui-même que la Cour a ouvert la voie à “deux interprétations”, tout en estimant que poursuivre un notaire qui validerait un mariage entre homosexuels serait un “abus d’autorité”.

“Il y a un désormais un vide juridique. Mais je crains qu’il y a un risque compte-tenu de la mentalité étriquée sur ce sujet”, explique Diana Luna, une avocate membre d’un collectif en faveur de l’union homosexuelle.

Peu optimiste quant à l’attitude des notaires, cette dernière estime qu’un vote positif du Sénat aurait aidé à “changer les mentalités” et permis aux homosexuels de “sortir du placard”. “C’est important, car contrairement à d’autres pays où ils se contentent d’une union libre, ici la communauté gay pense beaucoup au mariage”, souligne-t-elle.

Au delà de l’aspect symbolique, le mariage confère des droits supplémentaires. Il permet ainsi de consacrer immédiatement la communauté de biens, quand l’union civile exige un délai de deux ans.

Pour les défenseurs du mariage gay, la bataille doit donc continuer. “Les politiques nous ont tourné le dos, mais nous sommes prêts à repartir sur le terrain judiciaire pour faire valoir nos droits”, a averti la présidente de “Colombie Diversité”.

En Amérique latine, le mariage homosexuel est seulement autorisé en Argentine, depuis 2010, en Uruguay, depuis le 10 avril dernier, ainsi que dans la capitale du Mexique, Mexico, depuis 2009.