Le Kenya est devenu, le 12 août, le premier pays d’Afrique où la justice contraint le gouvernement à légiférer sur les droits des personnes transgenres. Par un jugement inédit, la Haute Cour d’Eldoret a ainsi exigé l’adoption d’une loi garantissant leur reconnaissance et leur protection. Cette décision, qualifiée d’« historique », découle du recours de SC, une femme transgenre arrêtée en 2019 et victime de traitements humiliants en détention.
Placée en détention pour « usurpation d’identité », elle avait subi des fouilles dégradantes, des examens médicaux invasifs sans son consentement et la diffusion de ses données privées dans les médias. Le tribunal a reconnu une violation de ses droits fondamentaux, dignité, vie privée, protection contre les traitements inhumains, et lui a accordé une indemnisation d’un million de shillings kenyans (soit environ 7 700 euros).
Mais la portée de l’arrêt dépasse le cas individuel. Le juge Reuben Nyakundi a ordonné au gouvernement de combler un vide juridique : soit en adoptant une loi spécifique, le Transgender Protection Rights Act, soit en amendant le projet de loi actuellement en discussion sur les personnes intersexes. Le bureau du procureur général doit par ailleurs proposer des révisions de la loi sur les prisons afin de garantir le respect des droits des personnes transgenres en détention.
« C’est une première sur le continent africain », a réagi l’organisation Jinsiangu, qui milite pour les droits des personnes intersexes et transgenres. « Si cette décision est suivie d’effets, elle ouvrira la voie à une reconnaissance légale de l’identité de genre et à des protections concrètes contre la discrimination. »
Jusqu’à présent, les personnes transgenres au Kenya vivaient dans une insécurité juridique totale : impossibilité de modifier leur état civil, absence de protections dans l’accès à l’emploi, à la santé ou à l’éducation, et forte exposition aux violences. Cette précarité s’inscrit dans un contexte où les relations homosexuelles, criminalisées par le code pénal hérité de la colonisation britannique, restent passibles de quatorze ans de prison.
La décision d’Eldoret intervient alors que la région est marquée par un durcissement des politiques anti-LGBT, à l’image de l’Ouganda voisin qui a voté en 2023 une loi répressive prévoyant la peine de mort pour certains actes homosexuels. Au Kenya même, la reconnaissance juridique d’une ONG LGBT par la Cour suprême en 2023 avait déclenché de vastes manifestations, menées par des responsables religieux et des élus conservateurs.
Si la justice a ouvert la voie, l’avenir dépendra désormais du Parlement, appelé à transformer ce jugement en loi. Une étape décisive qui dira si le Kenya devient un pionnier africain en matière de droits trans, ou si cette victoire restera symbolique.

















