Mariage pour tous : Des disparités dans l’adoption par les couples homosexuels

Des couples de femmes mariées ayant fait une demande d’adoption ont reçu un avis négatif du procureur de la République, tandis que d’autres avec le même profil ont eu un feu vert…

La loi sur le mariage pour tous devait permettre de «donner à tous les enfants la même sécurisation juridique». Près d’un an après avoir été votée, elle génère pourtant des inégalités et s’accompagne de disparités selon les secteurs géographiques. D’abord parce que, pour monter un dossier de demande d’adoption, certains tribunaux demandent de nombreux documents, voire des enquêtes de police, des photos et des attestations des grands-parents, quand d’autres, comme à Rennes, se contentent de simples documents d’Etat civil. Ensuite parce que, selon le tribunal auquel les couples sont rattachés, l’avis des procureurs de la République n’est pas le même.

Ainsi, au moins trois couples mariés — deux au tribunal de grande instance (TGI) de Marseille et un au TGI d’Aix-en-Provence — se sont heurtés à un avis négatif du procureur pour que le «parent social» puisse adopter l’enfant de son conjoint, comme le prévoit pourtant la loi. Motif invoqué: comme ces enfants sont nés de PMA à l’étranger et que cette pratique n’est pas ouverte aux lesbiennes en France, tout ce qui en découle est interdit et frappé de nullité.

Or, depuis, «il y a eu plein de cas d’adoption par le conjoint pour des femmes ayant conçu leur enfant par PMA en Belgique, en Espagne ou ailleurs, affirme Doan Luu, porte-parole de l’Association des parents et futurs parents Ggays et lesbiens. Selon la juridiction sur laquelle on tombe, on a donc des avis divergents des procureurs de la République».

Lorsqu’ils ont reçu l’avis négatif du parquet, les couples concernés ont été pris de panique, certains redoutant que la gendarmerie vienne prendre l’enfant. «Mes clientes ont la trouille, confie l’avocate Catherine Clavin, qui défend le couple à Aix-en-Provence. La notion de fraude à la loi est aussi très dure à encaisser pour elles, parce qu’elles n’ont jamais eu l’intention ou conscience de violer la loi française» en recourant à la PMA à l’étranger pour avoir un enfant.

Le procureur de Marseille a toutefois assoupli sa position depuis son premier avis. «Il en a rendu un deuxième dans lequel il recommande l’adoption simple plutôt que plénière, précise-t-elle. Ce n’est donc plus une opposition de principe».

Ces avis ont semé le doute et l’angoisse chez d’autres familles homoparentales, craignant que cela puisse faire école ailleurs. Alexandre Irwicz, président de l’Association des familles homoparentales, redoute qu’au cas où les tribunaux prononceraient un refus d’adoption, «cela introduise des discriminations en fonction du mode de conception». «Cela reviendrait à dire qu’il y a des enfants ‘’bien conçus’’, qui peuvent être protégés par la loi, et des enfants ‘’mal conçus’’», renchérit Catherine Clavin.

Le juge n’est pas tenu de suivre l’avis du procureur

Le juge n’est toutefois pas tenu de suivre l’avis du procureur de la République. Et à ce jour, le ministère de la justice «n’a pas eu connaissance de décisions rendues» par les tribunaux qui auraient refusé l’adoption à un couple marié pour ce motif, précise-t-il à 20 Minutes.

Il n’a en revanche aucun chiffre sur le nombre total d’adoptions depuis le passage de la loi. «Les statistiques ne distinguent pas en fonction du sexe des parents adoptifs, explique son porte-parole. D’autre part, le ministère ne procède pas, à ce stade, à un recensement de l’ensemble des décisions rendues par les juridictions». Les associations, elles, ont recensé au moins une vingtaine d’adoptions.

Alerté par ces dernières sur la disparité dans la pratique des tribunaux sur les demandes d’adoption par les couples de même sexe, le ministère de la Justice rappelle qu’il «n’intervient pas dans les affaires individuelles et [qu’]il convient ainsi d’attendre que le tribunal statue, étant précisé que ces décisions sont susceptibles de recours». En tout dernier lieu, la Cour de cassation pourrait trancher, permettant de lever le flou juridique sur le mode de conception et d’uniformiser les décisions.

Faustine Vincent
20minutes.fr