Texas : les juges peuvent désormais refuser de marier des couples de même sexe au nom de leurs convictions religieuses

La Cour suprême du Texas a discrètement modifié, le 24 octobre dernier, le code de déontologie judiciaire de l’État pour autoriser les juges à refuser de célébrer des mariages entre personnes de même sexe s’ils estiment que cela contrevient à leurs convictions religieuses.

La nouvelle disposition précise qu’« il n’est pas contraire à ces canons qu’un juge s’abstienne publiquement de procéder à une cérémonie de mariage fondée sur une croyance religieuse sincère ». Cette formulation, intégrée au Texas Code of Judicial Conduct, protège désormais les magistrats contre toute sanction disciplinaire s’ils refusent d’officier des unions pour des motifs religieux.

Une mesure au cœur d’un long bras de fer judiciaire

Cette décision fait suite à plusieurs années de litiges autour de la juge Dianne Hensley, sanctionnée en 2019 pour avoir refusé de marier des couples homosexuels dans le comté de McLennan. Hensley, qui s’était présentée comme « chrétienne pratiquante », avait attaqué la Commission d’éthique judiciaire pour atteinte à sa liberté de religion. Le juge de comté Brian Umphress, également opposé au mariage entre personnes du même sexe, a poursuivi la Commission en justice, craignant d’être lui-même sanctionné pour ses prises de position.

Sous pression de la Cour d’appel fédérale du Cinquième Circuit, la Cour suprême du Texas, dominée par des juges conservateurs, a finalement choisi de clarifier le code de conduite. Pour ses partisans, cette modification consacre la « liberté de conscience » des juges, ouvrant par la même la porte à des discriminations légalisées.

Le spectre d’un recul des droits

Si la décision texane ne remet pas directement en cause la validité du mariage pour tous.tes, elle fragilise l’accès effectif à ce droit. Les juges de paix, habilités à célébrer des mariages civils, pourraient désormais refuser leurs services à des couples homosexuels sans craindre de sanction.
« Cette mesure crée une exception religieuse au principe d’égalité devant la loi », estime le constitutionnaliste Jason Mazzone, de l’Université de l’Illinois, rappelant que « l’égalité de traitement ne dépend pas du bon vouloir d’un fonctionnaire ».

Le contexte national accentue les inquiétudes. Dix ans après la décision Obergefell v. Hodges (2015), qui a légalisé le mariage entre personnes du même sexe dans tout le pays, le climat juridique est de plus en plus incertain. La Cour suprême des États-Unis doit décider le 7 novembre si elle accepte d’examiner le recours de Kim Davis, ancienne greffière du Kentucky condamnée pour avoir refusé de délivrer des licences de mariage à des couples homosexuels. Plusieurs figures conservatrices appellent à revenir sur Obergefell, tandis que la majorité des Américains, environ 70 % selon le Pew Research Center, demeurent favorables à l’égalité matrimoniale.

Le Texas, laboratoire conservateur

État parmi les plus peuplés et les plus conservateurs du pays, le Texas s’impose depuis plusieurs années comme un terrain d’expérimentation législative sur les questions de genre et de sexualité. Ces derniers mois, le législateur a restreint les soins médicaux pour les mineurs transgenres, limité les contenus scolaires sur l’orientation sexuelle et multiplié les références à la « liberté religieuse » pour justifier des dérogations au droit commun.

Cette modification du code judiciaire marque une étape supplémentaire dans la normalisation du refus de servir les personnes LGBTQIA+ sous couvert de religion. « Ce n’est pas une question de foi, mais d’égalité », a réagi le groupe texan Equality Texas. « Un juge représente l’État. Quand il refuse d’appliquer la loi à tous, c’est la justice elle-même qui recule. »

Une tension appelée à se prolonger

Les juristes s’attendent à de nouveaux recours. La modification du code ne prévient pas d’éventuelles poursuites pour violation du Quatorzième amendement de la Constitution américaine, qui garantit une protection égale devant la loi. Pour l’heure, aucune plainte n’a été déposée, mais plusieurs organisations envisagent d’attaquer la mesure.

En attendant, le Texas devient le premier État américain à inscrire explicitement dans son code judiciaire une clause permettant aux magistrats de refuser de marier des couples de même sexe. Un symbole lourd de sens dans un pays où, malgré les avancées légales, les droits LGBTQIA+ restent au cœur d’une bataille culturelle et politique.