Quand “le cardinal Vingt-Trois” critique le « démembrement progressif » de la politique familiale

>> L’archevêque de Paris, le cardinal André Vingt-Trois a mis en cause mardi 30 septembre, dans son homélie de la messe de rentrée des parlementaires en la basilique parisienne Sainte-Clotilde, « le démembrement progressif » de la politique familiale en France, un « coup sévère pour l’avenir de notre pays ».

« Nous savons que la démographie positive de notre pays est une de nos principales richesses et qu’elle est à la fois le fruit de la solidité des familles françaises et d’une politique familiale de plusieurs décennies pendant lesquelles on a privilégié le bien commun sur des intérêts particuliers », a souligné le cardinal Vingt-Trois, au lendemain de l’annonce de coupes dans les prestations familiales, et à cinq jours d’une nouvelle mobilisation de La Manif pour tous contre le droit à la procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples homosexuels et la gestation pour autrui (GPA).

Selon l’archevêque de Paris, « le démembrement progressif de cette politique familiale n’est pas seulement une pénalisation pour les couples qui accueillent des enfants. Il est aussi un coup sévère pour l’avenir de notre pays ».

Doit-on rappeler à l’archevêque de Paris et d’ailleurs à tous les ministres de la religion, que le lobbyisme clérical viole la laïcité et méprise les familles !

Ce sont des ingérences intolérables des représentants religieux dans les affaires publiques, tandis que l’État et les églises sont séparés depuis 1905. La liberté d’expression n’autorise pas les ministres des cultes à intervenir en tant que tels dans le débat public : toute réunion politique dans les lieux de culte, toute provocation à résister aux « actes légaux de l’autorité publique » (dont fait partie le débat parlementaire sur le mariage civil) sont prohibées et passibles de peines contraventionnelles ou correctionnelles (titre V de la loi du 9 décembre 1905, articles 26 et 35 et 36). Si Monsieur Vingt-Trois, citoyen français, a parfaitement le droit de soutenir publiquement les opposants au mariage pour tous, en revanche Monseigneur Vingt-Trois, organisateur de l’exercice du culte catholique en vertu des articles 1 et 4 de la loi de 1905, doit s’abstenir d’intervenir ès qualités dans le débat.

L’opposition manifestée par les instances des Eglises au projet de loi sur le droit au mariage pour tous laisse croire que les chrétiens y sont unanimement opposés. Pourtant, selon un sondage réalisé en par l’institut BVA* publié en février dernier dans «le Parisien» – «Aujourd’hui en France», les catholiques français se révèlent très éloignés de l’image d’Epinal des familles aux convictions confites dans l’eau bénite. Ils prennent globalement acte des évolutions sociétales passées dans la loi, à commencer par le droit à l’IVG, tandis que le mariage gay fait son chemin.
Même si une réticence évidente persiste chez les plus assidus à la messe dominicale (37% s’y déclarent favorables), le mariage gay est désormais accepté par la majorité des «pratiquants occasionnels» (51%), ainsi que par la grande cohorte des catholiques «non pratiquants» (58%), religieux de culture plus que de conviction. Au total, moins d’un an après son entrée en vigueur, le mariage des couples homosexuels voit la part de Français s’y déclarant favorables progresser de 3 points, de 58% en avril 2013 à 61%.

Ainsi, et au lieu de propager des discours apocalyptiques sur le droit à s’unir de dizaines de milliers de personnes de même sexe censés saper les fondements de la société, les Eglises devraient s’attacher à prononcer une parole audible devant les évolutions des formes de la vie humaine.

Les opposants irréductibles au projet de loi prétendent ainsi que l’homoparentalité mettrait l’enfant en danger.

Il y avait de 30 000 à 40 000 enfants élevés en 2012 dans des familles homoparentales. Ces enfants sont-ils malheureux, maltraités ou dépravés ? Non. Dont acte.

Les Eglises affirment que le mariage serait la condition de la procréation. En France, plus de la moitié des enfants naissent hors mariage. Le droit de l’enfant n’est donc pas lié au seul statut matrimonial des parents.

Les opposants au projet de loi dénoncent le droit des couples à l’enfant qui nierait le droit des enfants. Le droit de l’enfance constitue le meilleur système juridique de toute notre histoire.

La loi ne distingue pas entre l’origine des enfants depuis 2006 et leur attribue des droits rigoureusement identiques, quels que soient le statut juridique des parents et les circonstances de leur naissance.

Des changements considérables et positifs sont ainsi survenus dans le droit des enfants, protégés des travaux épuisants, de la non-éducation, des violences sexuelles et pédophiles, et de l’abandon.

DES SOCIÉTÉS LAÏQUES ET DE DROIT

Il serait intellectuellement faux de prétendre le contraire et suspect de voir dans l’ouverture du mariage à tous une menace pour l’enfance, alors que tout notre droit la protège comme jamais.

Nous sommes dorénavant dans des sociétés laïques et de droit. Elles se révèlent infiniment plus soucieuses des fragiles que dans le passé.

Etait-ce vraiment mieux quand, dans une société pourtant d’affirmation chrétienne, Vincent de Paul, armé de sa seule sainteté militante, se trouvait isolé à sauver les enfants abandonnés sur le parvis froid des églises ?

Le mariage, pour celles et ceux qui le choisissent, est aussi – et peut-être dorénavant devenu – une histoire d’amour qui ne peut être enfermée dans le but unique de procréer.

C’est à la fois une rencontre de volontés et une institution par laquelle la société reconnaît comme bénéfique une union durable entre deux êtres à la fois égaux et différents.

L’ADOPTION EST UNE FORME UNIQUE D’AMOUR

Il n’y a aucun obstacle à l’offrir à tous, chacun restant libre de lui donner le niveau de solennité, y compris sacramentelle, qu’il souhaite.

L’adoption est une forme unique d’amour qui peut tout aussi bien être le fait de couples hétérosexuels ou homoparentaux.

Elever, éduquer, nourrir, protéger, disposer de l’autorité sur un enfant, dans le respect des lois, est un acte altruiste supérieur pouvant être ouvert à des parents mariés quelle que soit leur orientation sexuelle. Il l’est déjà aux célibataires.

La question de l’assistance à la procréation est un autre débat. Les problèmes qu’elle aborde concernent tout autant les parents hétérosexuels ou homosexuels : la réalisation d’un désir d’enfant et de création d’une famille doit être avant tout conforme au droit de l’enfant auquel elle est subordonnée.

Quelle que soit la solution choisie, on ne peut transiger sur le droit de tout enfant de connaître ses origines, et aucune solution reposant sur le commerce du corps humain n’est admissible.

Pour le reste, le christianisme, comme le dit Michel Serres, est “une religion de l’adoption” qui n’a jamais enfermé l’amour du prochain dans les frontières de la famille biologique ou de la tribu.

Il est pour le moins curieux d’observer que la volonté de voir reconnaître un lien durable entre deux êtres de même sexe et leur aspiration à fonder une famille suscite d’abord la suspicion au sein des hiérarchies ecclésiales, au moment où le lien social et la parentalité ont besoin d’être affermis afin de prévenir une société émiettée, précarisée et minée par les solitudes.

Nous appelons nos Eglises à ne pas reproduire avec le droit au mariage pour tous le contresens historique commis pour la régulation des naissances et la contraception par l’encyclique Humane vitae malgré l’exhortation alors du cardinal Suenens, archevêque de Bruxelles-Malines, de ne pas rouvrir “un nouveau procès de Galilée”.

Combien de femmes et d’hommes ont alors quitté l’Eglise, silencieux et meurtris devant le refus de celle-ci d’approuver l’usage de la pilule contraceptive ? Au prix de combien de chaises vides ? Nous en sommes là.

STOP HOMOPHOBIE
avec Jean-Pierre Mignard et Bernard Stephan,
codirecteurs de “Témoignage chrétien” et la-croix.com