Qui est vraiment Bradley Manning, “taupe” gay de WikiLeaks ? Un être fragile et déséquilibré aux tendances suicidaires, ou, à l’inverse, un homme conscient de ses actes, qui veut laisser sa trace et “faire la différence dans ce monde” ?
La défense et le gouvernement se sont déchirés sur leurs versions pendant onze jours d’une audience préliminaire qui s’est achevée mardi à Fort Meade, près de Washington.
Petit gabarit, corps frêle, cheveux blonds rasés de près et visage d’adolescent fendu de lunettes fines, le soldat ne donne pas l’air d’être l’un des plus célèbres “whistleblowers” (dénonciateurs) de l’histoire des Etats-Unis.
Pourtant, cet ancien analyste du renseignement est accusé d’avoir téléchargé puis envoyé au site internet WikiLeaks, entre novembre 2009 et mai 2010, des milliers de documents classifiés du gouvernement américain sur les guerres en Irak et en Afghanistan, et pas moins de 260.000 télégrammes du département d’Etat.
La “fuite” du siècle a provoqué une tempête dans la diplomatie mondiale et la colère de la première puissance mondiale.
Un statut lourd à porter pour le jeune homme de 24 ans, entré dans l’armée plus par pression familiale que par engagement, qui a été arrêté en mai 2010 en Irak et incarcéré “sous surveillance maximale”.
Le portrait brossé de ce natif de l’Oklahoma par les témoins du gouvernement, appelés à la barre du tribunal militaire de Fort Meade dans l’attente du procès en cour martiale qui s’ouvrira en mars, ne l’épargne pas: “déprimé”, “anxieux”, “sujet à des crises de panique”, au “comportement imprévisible”. Sans parler de son mutisme, son somnambulisme, voire ses pertes de repères sexuels.
Des membres du personnel de la prison de Quantico -où Manning a été détenu de juillet 2010 à avril 2011 – ont cité des épisodes où le soldat léchait les barreaux de sa cellule en dormant, pleurait en tapant sa tête avec ses mains, ou grimaçait en se regardant dans le miroir. Ils justifient ainsi son maintien pendant neuf mois sous un régime ultra-sévère réservé aux suicidaires.
“Faire la différence dans ce monde”
En face, la défense crie à la persécution judiciaire. Elle assure que Manning n’était pas suicidaire et que ce régime d’isolement quasi-total constituait une “punition préventive illégale”, réclamant l’abandon de toutes les charges.
Des psychiatres avaient jugé ce statut injustifié, estimant qu’il n’avait pas le comportement d’un suicidaire.
“Bradley est l’un des jeunes hommes les plus intelligents que j’aie jamais rencontrés”, a lancé son avocat David Coombs début décembre, lors de son unique apparition en public. “Il fait énormément de choses en écoutant son coeur et prête attention aux gens”.
Selon Me Coombs, son rêve est “d’aller à l’université, de travailler pour le service public et même, peut-être, un jour, être candidat” à une élection, “car il veut faire la différence dans ce monde”.
Entre ces deux portraits aux antipodes, difficile de cerner la véritable personnalité de Manning.
Le soldat semble loin d’être abattu. Lors des audiences préliminaires à Fort Meade, qui se poursuivent le 8 janvier, il suit assidûment et sans s’émouvoir les débats, feuilletant les documents, prenant des notes.
Fin novembre, lorsqu’il prend la parole pour la première fois devant la justice, il adopte un ton assuré et réfléchi pour raconter ses conditions de détention, ponctuant son récit rationnel de notes d’humour et de mimiques théâtrales. Précisant avoir bien pensé “quelques fois” au suicide, mais assurant avoir “vite abandonné”.
A aucun moment, cet idéaliste n’a exprimé de regrets.
Comme le rappelle Nathan Fuller, porte-parole de son groupe de soutien, il ne faut pas oublier les motivations avancées par le soldat en publiant ces données: susciter le débat et permettre aux gens de voir ce que le gouvernement faisait dans leur dos.
Aujourd’hui incarcéré à Fort Leavenworth, Kansas, il encourt la prison à perpétuité pour “collusion avec l’ennemi”.