MARIAGE POUR TOUS. Boutin, Barjot et le spectre fantasmé du 6 février 1934

L’analogie revient en boucle : entre les scandales et les manifestations radicalisées des anti mariage pour tous, nous serions le 6 février 1934. L’analogie historique est toujours d’un maniement délicat. Mais il est vrai qu’un retour sur la subversion de droite n’est pas inutile pour comprendre la tension présente.

Qu’est ce que le “6 février 1934” ?

Depuis 1931, la France connaît la crise économique. Les scandales politico-financiers prennent une dimension insupportable en ce contexte. Autour du slogan “à bas les voleurs !”, on appelle à une grande manifestation unitaire  pour le 6 février 1934. Sont là les ligues nationalistes : l’Action Française, les Jeunesses Patriotes, la Fédération nationale des contribuables, Solidarité Française et les Croix de Feu. Sont aussi présents les anciens combattants, ceux de l’Union Nationale des Combattants mais également les communistes de l’Association Républicaine des Anciens Combattants. “L’Humanité” appelle à mettre “à bas le gouvernement voleur des mutilés de guerre et complice des escrocs”, tandis que “L’Action française” titre contre “la dictature des voleurs”.

Le défilé se fait émeute : 15 morts et 1.435 blessés. Les manifestants veulent prendre l’Assemblée, leurs chefs s’y refusent. À gauche, la journée est interprétée comme une tentative ratée de coup d’État des fascistes. Il s’agit en fait d’une tentative réussie de déstabilisation du gouvernement par les droites autoritaires. Dans les jours suivants des contre-manifestations voient les militants socialistes et communistes fraterniser à la base. L’un des leaders communistes, Jacques Doriot, fonde un Comité d’Action Antifasciste. Trahison de la ligne “classe contre classe” : il est exclu en juin. Le même mois, le PCF reçoit la consigne de changer totalement de stratégie. Il se doit désormais d’appeler à l’union des gauches contre le fascisme. En octobre, le parti en appelle à un gouvernement de Front Populaire. Celui-ci prendra le pouvoir en 1936. Quant à Jacques Doriot, il évolue vers une droite ultra mâtinée de fascisme…

Jean-Marie Le Pen en pleine discussion avec Alain Robert-president du GUDConséquences du 6 février : Front National et Front Populaire

À droite aussi, le 6 février pousse à une dynamique unitaire. Il est vrai que l’État s’est doté de la possibilité juridique de dissoudre les mouvements politiques et que les ligues d’extrême droite sont frappées d’interdiction. Elles doivent donc travailler à leur reformation sous une nouvelle forme. Le théoricien de l’Action française Charles Maurras se propose non de fusionner les groupes mais de les rassembler dans un “Front national” sur la base d’un “compromis nationaliste”.

De 1934 à 1972, lorsqu’est fondé le FN lepéniste, concept et étiquette ont perduré : le compromis nationaliste est l’union de toutes les extrêmes droites malgré leurs projets inconciliables, dans le but premier de faire tomber l’ordre établi, avant que d’envisager de régler leurs querelles. Mais, l’extrême droite est un champ rétif à la discipline et les radicaux rejettent la proposition de Maurras, estimant, non sans raison, que ce FN n’est qu’un rassemblement de modérés ayant trahi la dimension révolutionnaire du 6 février.

Le modèle va être sans cesse réemployé en vain, jusqu’à ce que, quarante ans plus tard, les circonstances et la personnalité de Jean-Marie Le Pen lui permettent enfin de s’avérer opératoire.

La subversion de droite : un échec permanent

Échec dans la rue, échec dans la stratégie consécutive, et pourtant le 6 février rentre dans la mythologie des extrêmes droites. En affrontant physiquement les forces de l’ordre, en ayant des morts, elles se sont donné un parfum subversif enivrant. Cela explique que les extrêmes droites radicales investissent massivement le populiste poujadisme dans les années 1950, dans l’espoir d’un “6 février qui réussisse”. Ils ont en tête le rôle joué par la Fédération des contribuables dans le déclenchement du 6 février. C’est là que le jeune Jean-Marie le Pen est formé à la politique par d’anciens communistes passés au collaborationnisme.

On s’agite, on rêve d’un 6 février qui fonctionne. Les extrêmes droites sont des heures insurrectionnelles de mai 1958 qui mettent à bas la IVe République. Mais elles sont dissoutes, et c’est le général de Gaulle qui accède aux responsabilités.

Voulant profiter de la demande sociale de répression de l’agitation gauchiste après 1968, les néofascistes d’Ordre nouveau pratiquent à la fois la violence contre-subversive anti-gauchiste dans la rue, habillée d’une esthétique subversive, et lancent le FN. Ils sont manœuvrés par le ministère de l’Intérieur jusqu’à ce que ce dernier en 1973 puisse dissoudre conjointement ON et Ligue communiste suite à une nuit d’émeute et d’affrontements avec les forces de l’ordre.

frigide barjot homophobie et guerre civileD’hier à demain…

L’échec est patent : la subversion de droite n’a jamais fait tomber “le régime” mais, bien au contraire, a servi systématiquement le raffermissement de l’État. Pourtant, en voulant investir le Sénat, ce vendredi 12 avril 2012, les manifestants anti-mariage pour tous se situaient clairement dans la fantasmagorie du 6 février. Il est vrai qu’ils bénéficient de trois points positifs.

Tout d’abord, les déclarations radicalisées de personnalités politico-médiatique : Frigide Barjot s’exclamant que le sang va couler, Christine Boutin agitant le spectre de la guerre civile, Hervé Mariton dénonçant un coup d’État dans le processus législatif.

Ensuite, ils ont face à eux un gouvernement certes affaibli, mais dont on doute qu’il soit tenu comme jadis par des personnalités en capacité morale d’utiliser tous les processus répressifs à leur disposition (tant physiques que juridiques).

Enfin, la droite française cherche une recomposition idéologique depuis que la crise de 2008 a liquidé l’étendard libéral. La question est pour elle vitale si elle veut parvenir à coaguler les électorats frontiste et UMP pour assurer sa prochaine victoire. La radicalisation de l’opposition au mariage pour tous a valeur de banc d’essai de construction d’une socle conservateur commun s’opposant au libéralisme culturel de la gauche.

Par 
historien/spé. extrêmes droites