Mariage pour les couples homosexuels : François Hollande a trop attendu

LE PLUS. Une semaine avant la grande manifestation des opposants à l’ouverture du mariage pour tous, la gauche pourrait bien se mordre les doigts. Car elle n’a pas fait voter ses grandes réformes de société dès l’été comme l’avait fait Valéry Giscard d’Estaing. Point de vue d’Olivier Picard, chroniqueur politique au Plus, auteur de “Mariage, sexe et tradition” (éd. Plon).

C’est déjà trop tard ! Dans son agenda des priorités, François Hollande aurait dû fixer bien plus tôt l’examen en conseil des ministres puis au parlement du projet de loi sur le mariage pour tous. Il n’a pas osé foncer, ou pas voulu, laissant à l’adversaire le temps d’organiser ses défenses.

Un manque d’audace

Le voilà maintenant face à la coalition des conservatismes qui l’oblige déjà à tempérer son offensive réformatrice. Même dans ses propres troupes, on temporise… Les trois mois de polémique nationale avant que le texte, présenté mercredi, arrive enfin devant les députés s’annoncent interminables. Un délai qui va laisser les passions se déchaîner, usant peu à peu ce qui restait d’audace à l’exécutif.

Novembre 2012 – Janvier 2013 : le plan de vol respecte scrupuleusement, c’est vrai, le calendrier proposé par le candidat PS à la présidentielle. Mais cet argument brandi par les conseillers du président ne suffit pas à justifier une erreur de timing lourde de conséquences politiques. Le chef de l’État a manifestement sous estimé le pouvoir explosif de ce dossier symbolique qui, dit-on aujourd’hui, n’obsédait pas ce ce récalcitrant historique au conjungo.

Il a opté pour la rapidité, certes, mais c’est la voie express qu’il aurait fallu emprunter. Si les fameux “cent jours” peuvent avoir un sens et une utilité politiques concrètes, c’est bien celui-là : servir d’accélérateur. Profiter du temps suspendu qui suit une présidentielle et le choc d’une alternance pour imposer des changements que le nouveau chef de l’État, fort de la légitimité de son élection au suffrage universel, croit fondamentalement nécessaires. C’est le moment privilégié, extrêmement fugitif, où il doit prendre la responsabilité, devant l’histoire, de mettre quasiment le pays devant le fait accompli en forçant la main, au besoin, de la représentation nationale.

Un engagement sans hésitation

L’ouverture du mariage aux homosexuels avec toute l’évolution du droit qu’elle suppose, comme toutes les réformes sociétales fondamentales, exigeait un engagement sans hésitation, une détermination sans concession et une mise en œuvre sans délai.

Elle aurait dû être mise en chantier dès la fin juin par le conseil des ministres, inscrite le plus rapidement possible à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, et réglée au début de l’automne, au plus tard.

C’est ainsi que François Mitterrand avait définitivement tranché en moins de quatre mois l’impopulaire question de l’abolition de la peine de mort, adoptée définitivement dès le 30 septembre 1981 (à 12h50 très exactement raconte Rober Badinter) par le Sénat. D’une certaine façon, Valéry Giscard d’Estaing, fit plus fort encore: tout juste élu, il avait fait adopter dès le 26 juin 1974 l’emblématique passage à la majorité civile de 21 à 18 ans, un pari sur la jeunesse qu’une bonne partie (RPR) de sa propre majorité n’était pas loin de considérer comme une inconscience gauchiste menaçant la société… Le droit à l’avortement (sous certaines conditions) provoqua le débat incendiaire que l’on sait mais fut entériné dès le 17 janvier 1975. Quant à la réforme du divorce instaurant le consentement mutuel, présentée par les conservateurs comme une bombe… contre le mariage, l’intrépide VGE l’avait immédiatement présentée comme inévitable avant que les conservateurs de tout poil ne puissent s’organiser pour la contrer. En dépit des bouleversements qu’elle entrainait, elle fut adoptée un an plus tard (le 11 juillet 1975).

Un François Hollande timide

Est-ce une question de caractère ou de stratégie ? François Hollande se montre donc nettement plus timoré, voire plus timide, et nettement plus lent que ses deux lointains prédécesseurs. Il est victime du syndrome chiraquien : à force de ne pas vouloir brutaliser la société – c’est précisément la prudence revendiquée par François Fillon – il retarde mécaniquement le changement dont elle a besoin pour évoluer. Les mois passent et la crise, et le désenchantement, et la pression des arguments contradictoires finissent par avoir raison du courage. La frilosité du pouvoir est alors contagieuse : la société, elle-même, se met à douter de la pertinence de la réforme, comme le montre l’érosion inexorable de la majorité des Français favorables au mariage pour tous.

C’est ainsi que l’exécutif a déjà renoncé à une autre réforme immédiate qui était déjà inscrite… dans les 110 propositions de François Mitterrand : exit le droit de vote des immigrés aux élections locales ! Si François Hollande l’avait vraiment voulu, il aurait pu entrer en vigueur pour les municipales de 2014. Par crainte de mettre de l’huile sur le feu, le président a préféré ne pas exploiter le petit miracle que constituait des sondages largement favorables à cette avancée qui aurait été une marque de confiance, et de reconnaissance, adressée à la France de la diversité. À la France de 2012.

Et maintenant que nous explique t-on hypocritement ? Qu’on n’a plus le temps institutionnel nécessaire… On ne pouvait donc pas le prévoir avant, “le temps institutionnel nécessaire” et s’organiser en conséquence ? Le respect de l’échéance de 2014 était pourtant, on le savait, capital.

C’est un peu douloureux à écrire pour le démocrate absolu que je suis mais c’est une vérité: la recherche de la majorité d’opinion la plus large sur des questions de société aussi passionnelles que le mariage ou le droit de vote des immigrés est vaine, et le débat inutile, sinon contre-productif.

Que peuvent les forces de conviction rationnelles contre le déferlement des fantasmes et des peurs instinctives instrumentalisées à dessein ? Le danger c’est de chercher à composer avec ces crispations, souvent sincères, pour déminer les anathèmes. Une stratégie inopérante. Le gouvernement recule déjà en refusant le droit à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de lesbiennes quand il devrait l’accorder au nom de la logique du “mariage homosexuel”. Au nom de la dignité. Au nom de la reconnaissance de ce qui existe déjà et qui impose à ces femmes courageuses et lucides un parcours du combattant de Londres à Madrid pour réussir à enfanter. Croyez-moi Monseigneur, cette opiniâtreté ne ressemble guère la revendication du “droit à l’enfant” consumériste que vous vouez au gémonies!

S’il ne veut pas être submergé par la contre-offensive d’essence réactionnaire lancée par l’opposition et l’union des autorités religieuses, l’exécutif ne doit pas se laisser impressionner par une prose catastrophiste, volontiers diabolisante.

Pour une gauche sans complexes

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’insulter les interrogations éthiques respectables et parfaitement légitimes des opposants au mariage pour tous, mais de résister fermement à une dramatisation théâtrale qui frise aujourd’hui à l’hystérie. Arrêtons les délires ! Non, l’extension du domaine du mariage ne met nullement en danger la famille.

Cela fait au moins trente ans qu’elle se passe du mariage pour exister, la famille et le droit l’a accompagné dans cette révolution silencieuse qu’elle a accompli depuis un demi-siècle. C’est un fait, pas un souhait : 55 % des enfants naissent désormais dans de couples qui ne sont pas mariés et la France n’est pas sens dessus-dessous pour autant.

Quant au droit, de structure patrimoniale, vieux de deux siècles, ce ne sont pas 2500 à 5000 mariages “homosexuels” par an, prévision maximum – sur 243.000 ! – qui vont “remettre complètement à terre l’organisation juridique de la France”, comme l’a répété, pompeusement, dimanche matin, Jean-François Copé sur Europe 1.

Un signe : les notaires, sans doute les meilleurs observateurs juridiques de la question, ne sont pas particulièrement inquiets et sont les premiers à relativiser les conséquences de la réforme. Un voyage du sud au nord de l’Europe suffit pour l’attester : les mariages gay n’ont déstabilisé ni la très catholique Espagne, ni les très protestants Pays-Bas. Même si comparaison n’est pas raison pourquoi la France devrait-elle faire exception dans ce paysage rassurant ?

Le mariage n’est pas en danger

Quant au mariage lui-même, il va bien merci. Il reste un symbole exceptionnel auquel chacun est libre de donner une dimension sacrée. Il ne s’est même jamais aussi bien porté, résistant à la concurrence du Pacs, bien plus solide que les professions de foi de ces parlementaires culottés qui le brandissent comme un étendard immaculé, en trahissant allègrement dans leurs vies personnelles les valeurs dont ils se font les hérauts dans l’hémicycle. Un grand classique. Ils sont libres de faire ce qu’ils veulent de leur existence, de leurs amours et de leurs fidélités, bien sûr, mais qu’ils ne viennent pas asséner leurs leçons de morale avec des trémolos matrimoniaux !

Et comment accepter que des maires qui ont occupé les plus hautes charges de l’État, comme M. Copé, maire de Meaux et ancien ministre du Budget, puissent affirmer qu’il refuseront de célébrer des unions devenues parfaitement légales ? Sans emphase pour le coup, c’est un vrai scandale républicain auquel François Fillon a pris garde de ne pas associer sa voix.

Pour toutes ces raisons, la gauche ne doit plus avoir aucun… complexe. Puisqu’elle n’est pas su être rapide, la main du changement, au moins, ne doit pas trembler. François Hollande dispose de sa grande conférence de presse de mardi pour le montrer. À lui de jouer !

source:http://leplus.nouvelobs.com/contribution/693922-mariage-pour-les-couples-homosexuels-francois-hollande-a-trop-attendu.html