Les Caraïbes touchées par une vague d’homophobie

Melvin Duran, un jeune cinéaste dominicain, discutait avec un ami sur une place de la ville coloniale de Saint-Domingue, dimanche 18 août en fin de journée. “Une patrouille de la police nous a injuriés et arrêtés pour le seul délit de paraître homosexuels“, a raconté Melvin Duran au site d’informations en ligne Acento.com.do.

“Lorsque j’ai demandé à un policier pourquoi ils ne nous relâchaient pas alors que nous n’avions rien fait de mal, il m’a répondu : ‘Parce qu’être pédé, c’est pire qu’être délinquant dans ce pays’.” Conduits de commissariat en commissariat, humiliés et menacés, les deux jeunes n’ont été libérés que le lendemain à la mi-journée.
Le même week-end, à San Cristobal, près de Saint-Domingue, un homosexuel, Randelyn Mancebo Medina, a été sauvagement assassiné à coups de bâton et de couteau. Son meurtrier, qui a reconnu avoir payé pour des relations avec lui, a déclaré à la police qu’il avait été “contraint de le frapper” parce qu’il voulait “inverser les rôles”.

AU MOINS 25 HOMOSEXUELS ASSASSINÉS DEPUIS 2006

En Haïti, en République dominicaine, en Jamaïque et dans d’autres pays de la région, les agressions contre les homosexuels et les transsexuels se sont multipliées ces derniers mois. L’homophobie n’est pas nouvelle dans le bassin des Caraïbes.

Des lois punissant la sodomie de longues peines de prison sont toujours en vigueur dans onze pays de la région. Même si ces lois ne sont plus guère appliquées, elles témoignent du climat d’intolérance et de violence dans lequel vivent les membres des communautés LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels).

Au moins vingt-cinq homosexuels et transsexuels dominicains ont été assassinés depuis 2006, selon l’association Amigos siempre amigos (ASA). Un seul des assassins a été traduit en justice. D’après Leonardo Sanchez, le directeur d’ASA, la violence de ces crimes ne laisse pas de doute sur leur caractère haineux.

LA JAMAÏQUE, “LIEU LE PLUS HOMOPHOBE SUR TERRE”

Le 22 juillet, Dwayne Jones, un travesti jamaïcain de 17 ans surnommé “Gully Queen”, dansait dans une fête près de Montego Bay. Reconnu par une femme, il a été violemment battu, poignardé et tué d’une balle. “Il y a eu peu de manifestations d’indignation, peu de couverture dans la presse”, a déploré l’organisation Jamaicans for Justice.

En 2006, le magazine Time avait qualifié la Jamaïque de “lieu le plus homophobe sur terre”. Sous l’influence des Eglises protestantes inspirées par les télévangélistes américains et de chanteurs homophobes, la situation n’a guère évolué. En 2012, dans un sondage, 46 % des Jamaïcains ont exprimé leur “répulsion” face à l’homosexualité. Seuls 5,6 % disaient leur “acceptation” des personnes se déclarant gays.

La Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) s’est déclarée “gravement préoccupée par la récente augmentation des violences homophobes dans le pays”. Selon la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), 47 cas de violences et d’agressions ont été enregistrés entre le 17 et le 24 juillet en Haïti. “Des personnes LGBT ou perçues comme telles auraient fait l’objet de menaces de mort et leurs maisons auraient été brûlées ou saccagées”, a dénoncé la CIDH.

“DOUBLE MORALE DE L’EGLISE”

La vague de violence s’est intensifiée après les manifestations organisées en juillet à Port-au-Prince et à Jacmel par une coalition d’Eglises protestantes contre “l’institutionnalisation de l’homosexualité en Haïti”. Le 10 août, une fête privée organisée dans la capitale pour les fiançailles d’un coopérant anglais et d’un jeune Haïtien a été violemment interrompue à coups de pierres et de cocktails Molotov.

A Saint-Domingue, la hiérarchie catholique mène la croisade contre le nouvel ambassadeur des Etats-Unis, James “Wally” Brewster, militant LGBT et important contributeur du président Barack Obama. Mgr Pablo Cedano, évêque auxiliaire de Saint-Domingue, a qualifié sa nomination de “manque de délicatesse et de respect des Etats-Unis”. “S’il est confirmé, il va souffrir et devra partir”, a anticipé l’évêque.

Cette position a été réitérée par son supérieur, le cardinal Nicolas de Jésus Lopez Rodriguez, qui traite publiquement les homosexuels de “maricones” (“pédés”). Deivis Ventura, porte-parole de la communauté LGBT, a répliqué, dénonçant “la double morale de l’Eglise qui attaque les gays et couvre les curés pédérastes”.

Par Jean-Michel Caroit (Saint-Domingue, correspondant Le Monde)