La population “trans” et le harcèlement sexuel : une omerta républicaine

La loi sur le harcèlement sexuel doit être refondue pour mieux définir le délit de harcèlement. En attendant, Samantha Montfort, de l’association “Objectif Respect Trans”, demande à l’Etat d’inclure la population “trans” dans le texte, de sorte que ces personnes (15.000 en France), puisse un jour être considérées par la République.

Les parlementaires vont avoir à se prononcer, dans les jours et semaines qui viennent sur la réforme imposée par QPC du harcèlement sexuel. Il apparait toutefois surprenant qu’une loi intégrant dans sa finalité l’anti-discrimination s’en retrouve, par omission, discriminatoire.

Si, au premier regard, l’inclusion de cette disposition pénale apparaissait selon certains parlementaires comme dépourvue d’intérêt, ayant considéré, en écartant le débat d’un détour de manche, que le harcèlement sexuel s’étendait à toute situation de harcèlement à connotation sexuelle, le débat démocratique comme la réalité vécue imposent qu’ils ne puissent s’exonérer de la problématique distincte et spécifique des personnes dites “trans” (transsexuelles, transgenres), directement concernées, car cibles ô combien privilégiées.

Les trans subissent aussi le harcèlement

En effet, le taux de harcèlement sexuel pour cette population est très élevé : des études menées en France et à l’étranger démontrent que la moitié des adultes “trans” ont été victimes du harcèlement – dont sexuel –, cette proportion atteignant jusqu’à 80% des mineurs “trans”. 6% des adultes et jusqu’à 12% des mineurs ont subi des agressions sexuelles.

Les conséquences de ces harcèlements sont d’autant plus préoccupantes que le harcèlement est souvent le début d’un engrenage de grande marginalisation et d’exclusion sociale. Selon ces mêmes sources, les personnes “trans” harcelées au travail perdent trois fois plus souvent leur emploi que celles qui ne l’ont pas subi et 40 % de celles qui perdent leur travail deviennent SDF. Les mineurs ayant subis des harcèlements sont trop souvent déscolarisés, la moitié d’entre eux devenant SDF. En effet, sans qualification, sans expérience, vulnérables, en grande partie rejetée par leur famille, les suites pour ces jeunes sont assez prévisibles.

Le harcèlement sexuel est également source de risque vital direct : selon ces mêmes études, le taux de tentatives de suicide est de 74 % plus élevé pour les personnes trans harcelées que pour celles qui ne l’ont pas été. La perte de travail, la déscolarisation, l’agression sexuelle augmentent significativement ces taux. Les “trans” qui ont subi une agression sexuelle en tant que mineurs, par exemple, font preuve d’un taux de tentatives de suicide d’environ le double de ceux et celles qui n’en ont pas subi.

Les “trans”, invisibles pour la Républiqu e

Enfin, si l’on regarde le domaine, proche, de la discrimination, dans la Directive 2006/54/CE – souvent citée dans les débats actuels sur la nouvelle loi –, il est écrit : “la Cour de justice a considéré que le champ d’application du principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes ne saurait être réduit aux seules discriminations fondées sur l’appartenance à l’un ou l’autre sexe. Eu égard à son objet et à la nature des droits qu’il tend à sauvegarder, ce principe s’applique également aux discriminations qui trouvent leur origine dans le changement de sexe d’une personne.”

Pourtant, à l’exception notable du groupe de travail sur le harcèlement sexuel au Sénat, les “trans” sont les grands absents du débat sur la nouvelle loi.

Cette omerta n’a rien de nouveau. Mise à part les deux propositions de loi Caillavet il y a maintenant plus de 30 ans, et jusqu’à très récemment, le législateur n’a jamais souhaité prendre en compte les conditions réelles de vie des personnes “trans”. Le ministère de la Justice affirme depuis 20 ans que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…

Les tribunaux ont les mains libres pour faire comme bon leur semble en l’absence d’un cadre législatif. Après tout, selon les principes du Code civil, cette population ne devait – voire ne pouvait – même pas exister, à l’instar du protestantisme à l’aube de la révocation de l’Edit de Nantes. Entre notamment l’indisponibilité de l’état des personnes et la composante “sécurité” de l’ordre public, tout militait – pour des raisons d’Etat – contre la prise en compte de leurs vies, une omerta très républicaine. Seule l’intervention de la Cour européenne des droits de l’homme en 1992 (arrêt B. contre France du 25 mars 1992) était parvenue à débloquer partiellement une situation que la République était incapable de traiter elle-même.

Cercle vicieux

Aujourd’hui encore, inexistantes ou transparentes par rapport aux lois actuelles luttant contre la discrimination et le harcèlement, les 15.000 personnes “trans” en France sont pourtant frappées de plein fouet par ces deux fléaux. Stigmatisées, marginalisées et humiliées par les pratiques résultant du vide législatif sur l’état civil, qui les exposent toujours à une vie difficile, voire indigne, pendant de longues années sans possibilité de protection, déchue de fait de multiples droits fondamentaux, exposées directement, à la fois par les réticences et obstacles administrativo-judiciaires et par l’état civil lui-même, aux discriminations et au harcèlement, la vie réelle de ces personnes reste peu enviable.

Et quand ces personnes souffrent, leur entourage souffre aussi, affectivement et financièrement. 5 000 à 10 000 enfants sont issus de parents « trans » en France, 3 000 à 5 000 personnes sont conjoints ou ex-conjoints de « trans ». A cela s’ajoute les parents, les frères et sœurs, les collègues, les amis, c’est ainsi tout un tissu social de 50 000 à 75 000 personnes qui est fragilisé par la vulnérabilité exacerbée des personnes trans.

Cette omerta législative est donc doublement pénalisante. D’un côté, le législateur refuse d’accorder aux personnes trans la protection explicite des lois sur la discrimination et sur le harcèlement dont elles ont besoin, en dépit de leur vulnérabilité, mettant leurs vies et celles de leurs proches à risque. De l’autre, il donne plein pouvoirs aux tribunaux et aux ministères pour stigmatiser et humilier cette population .

Dans un pays où les droits de l’Homme font partie intégrante des valeurs de la République, où la dignité est une valeur à principe constitutionnelle, il existe une opportunité aujourd’hui, avec la nouvelle loi sur le harcèlement sexuel, pour briser cette loi du silence. Ce serait là une première étape, importante, dans la protection et la réintégration de ces enfants parias de la République.

Source : nouvelobs.com