La bénédiction des couples homosexuels divise les protestants

Un débat « vigoureux », « vif », « animé », « difficile parfois »… Depuis six mois, les paroisses luthéro-réformées de l’Église protestante unie de France (Epudf) débattent de la possibilité de bénir ou non les couples de même sexe (1).

Première étape d’un processus démocratique qui doit permettre de faire remonter la vox populi : en novembre, les synodes régionaux formuleront leur avis, qui sera transmis au synode national. C’est lui qui décidera – ou pas – au terme d’un nouveau débat en mai 2015. Toutefois, contrairement aux protestants d’Alsace Lorraine qui doivent se prononcer lundi sur le sujet, l’Epudf n’a pas voulu aborder de front la question des couples homosexuels, mais la resituer dans une réflexion plus large sur le sens de la bénédiction.

« La plupart ont joué le jeu, en s’interrogeant d’abord sur l’ancrage anthropologique, biblique, théologique de la bénédiction : qui bénit ? qu’est-ce qu’on bénit : la personne ? Son projet ? La réponse de l’Église peut dépendre de ce qu’on met derrière ce mot », explique Jean-Pierre Sternberger, pasteur et rapporteur en région Centre-Alpes-Rhône.

« Le sujet reste très sensible »

Du Nord au Sud, le sujet a beaucoup mobilisé les communautés. « Plus des deux tiers des 70 paroisses de région parisienne m’ont envoyé leur rapport, qui va d’une quinzaine de lignes à trente pages, selon les Églises », précise Vincent Neme-Peyron, pasteur à Bois-Colombes, dans les Hauts-de-Seine, et rapporteur pour la région parisienne, qui retrouvera demain les autres rapporteurs régionaux à Paris pour présenter sa synthèse.

Mais pour l’heure, aucun consensus ne semble se dégager. Ainsi sur l’ensemble des paroisses de région parisienne, seules trois ou quatre se sont prononcées de manière monolithique pour la bénédiction des couples de même sexe, le même nombre contre, les autres faisant état d’un débat interne qui ne laisse pas émerger, à ce jour, de réponse évidente.

Si bien que beaucoup font état de leurs craintes pour l’unité de l’Église. « Le sujet reste très sensible. Pour certains, il est difficile d’échanger sereinement et certaines communautés, en milieu rural en particulier, ont tout bonnement préféré ne pas aborder cette question », constate Nathalie Pacquereau, rapporteur pour la région Sud-Ouest.

Internet s’est aussi fait l’écho de ces opinions divergentes

Et dans certaines régions, les personnes plutôt défavorables à la bénédiction des couples de même sexe n’ont pas osé participer aux débats, par crainte d’être taxés d’homophobie. « À nous, rapporteurs, de tenir compte dans le processus décisionnel du fait que seuls se sont exprimés ceux qui étaient pour… », relève Christophe Montoya, pasteur à Toulon et rapporteur pour la région Paca.

Internet s’est aussi fait l’écho de ces opinions divergentes. Soucieux de faire entendre les arguments contre la bénédiction des couples de même sexe, Gilles Boucomont, pasteur de l’Église du Marais, qui accueille de nombreux couples homosexuels, a lancé le blog Benediction. info. En réaction, les partisans du « mariage pour tous » ont lancé le site Benissons.fr, qui se présente lui aussi, « sans légitimité institutionnelle, comme un élément de plus pour débattre ».

« Le débat prend une intensité d’autant plus grande chez nous, protestants, que nous n’avons pas de magistère : d’une certaine manière, c’est le fruit du débat synodal qui a valeur de magistère pour nous », explique le pasteur Boucomont.

« Se garder du littéralisme comme du relativisme »

Quels scénarios, à ce jour, sont envisageables ? Certains évoquent la possibilité d’un oui, assortie d’une clause de conscience pour les pasteurs refusant de bénir des couples homosexuels. « Ce serait la solution la plus clivante, estime Gilles Boucomont, car cela provoquerait des débats éternels au sein des paroisses, entre pasteurs et conseils presbytéraux ».

Attendre encore ? L’Epudf, qui a choisi de ne pas travailler sous la pression, quand bien même certains pasteurs « dissidents » ont déjà procédé à des bénédictions de couples homosexuels – avec blâme de leur hiérarchie –, pourrait effectivement se laisser encore du temps. « En région parisienne, la majorité estime qu’il y a encore des éléments à travailler avant de se prononcer, et la date du prochain synode national n’est pas une date butoir sur ce sujet précis, analyse Vincent Neme-Peyron. Ce débat aide les gens à mûrir et à construire leur propre réflexion ».

Pour beaucoup de protestants, le débat porte, en réalité, sur l’autorité de la Bible, la référence à l’Écriture en matière d’éthique. « Il nous faut encore réfléchir, pour se garder du littéralisme comme du relativisme », précise le pasteur Neme-Peyron.

De fait ces deux tentations traversent l’Église réformée (devenue Epudf en 2013) depuis sa création en 1938, fruit de l’union du courant libéral et du courant évangélique. « Jusqu’à présent, cette union a tenu, relève Christophe Montoya, mais les questions éthiques et de société nous placent de plus en plus face à des lignes de fracture… »

Céline Hoyeau

(1) Pour les protestants, le mariage n’est pas un sacrement. Les pasteurs de l’Epudf, à ce jour, ne bénissent que des couples mariés civilement