Frigide Barjot promet “du sang” à Hollande : une menace sidérante en forme d’aveu

La sidération est désormais le sentiment ordinaire qui accompagne l’observateur qui contemple le spectacle quotidien de l’actualité française. Ce vendredi 12 avril 2013 restera donc le jour où Frigide Barjot, leader de la Manif pour tous, mouvement historique opposé au mariage pour tous, aura déclaré : “Hollande veut du sang, il en aura !”

Oui, le lecteur n’a pas la berlue. Parce que le gouvernement a décidé d’accélérer la procédure législative, inscrivant à l’ordre du jour, en deuxième lecture, le projet de loi Taubira dès mercredi prochain, Frigide Barjot, la gentille, sympa, chouette ex-copine des homos, l’icône gay-friendly du Banana Café des années 2000, mais catho branchée fidèle aux prescriptions de l’Église, Frigide Barjot donc, a osé déclarer, de la manière la plus officielle qui soit : “Hollande veut du sang, il en aura !”

La déclaration de Frigide Barjot est sidérante parce qu’elle ne s’en tient pas à cette menace à peine voilée. Elle a aussi estimé qu’un “couperet venait de tomber sur la tête du peuple”, ajoutant encore : “C’est une honte. Les Français ne veulent pas de ce projet de loi et que font-ils ? Ils accélèrent”. Et encore : “Hollande veut du sang, il en aura ! Tout le monde est furieux. Nous vivons dans une dictature”.

Ce vocabulaire n’est pas anodin : le couperet, le sang, le refus par le pays réel d’un projet qui est celui du pays légal, la défense d’une conservation de la société au nom de valeurs prétendument chrétiennes… La symbolique politique est évidente. Le mouvement La Manif pour tous, par la voix de Barjot, affiche de plus en plus la revendication d’un héritage politique néo-vichyste.

Ce n’est pas un dérapage, c’est un aveu

On pourrait avoir la tentation de passer outre, considérant que Barjot n’est que Barjot, et rien d’autre. Ce serait commettre la même erreur d’appréciation qu’il y a six mois, quand les uns et les autres riaient d’elle et de son combat. Depuis, elle a réussi à organiser trois manifestations d’ampleur historique et à fédérer derrière elle un peuple de droite en déshérence. Continuer, à gauche, à ne pas prendre Barjot au sérieux, c’est se condamner au pire.

Par delà l’effet de sidération, cette déclaration hallucinante constitue tout à la fois l’aveu et la confirmation de ce qu’est devenu aujourd’hui le mouvement initié par Barjot à l’automne dernier.

En quatre mois, de la manifestation du 17 novembre à celle du 24 mars, on est passé d’une contestation en mode Jalons, rigolote et décalée, même si réac’, à la constitution d’un front de factions antigouvernemental, anti-socialiste, anti-gauche, voire anti-républicain, une étrange alliance allant de la bourgeoisie de province UMP à foulard Burberry aux identitaires en bombers et autres membres du GUD à chaussures ferrées, en passant par l’élite des contre-révolutionnaires en robe de bure façon Civitas.

Signe de cette évolution qui va s’accélérant, Frigide Barjot n’hésite plus à appeler ses soutiens à s’en aller protester devant le Sénat en compagnie des fanatiques illuminés de Civitas. Il y a quatre mois, elle ne voulait surtout pas de ce voisinage honteux, aujourd’hui, elle s’en accommode et mieux encore, elle s’en félicite.

Un mouvement qui ne cesse de se radicaliser

En vérité, Barjot se radicalise autant par dérive personnelle que par nécessité. Longtemps, elle a cru qu’elle pouvait contenir et refréner les plus extrémistes de ceux qui s’étaient engouffrés dans son sillage. “Je sais qu’il y en a qui n’aiment nos amis pédés, mais c’est moi la patronne”, avait-elle coutume de répondre quand on lui faisait part des inquiétudes que suscitaient la présence de certaines personnes dans son sillage.

Mais plus le mouvement, son mouvement, s’est radicalisé, le combat mené contre les socialistes s’inscrivant dans une logique de guerre culturelle identitaire dépassant le simple débat sur le mariage gay, plus elle a été contrainte de suivre le mouvement pour ne pas en perdre définitivement le contrôle.

Elle s’y plie d’autant plus que l’UMP de Jean-François Copé, qui la juge incontrôlable politiquement aurait plus d’une fois tenté de lui piquer son leadership, sans y parvenir totalement.

Barjot, ancienne humoriste, se retrouve donc dans une position étonnante autant que dangereuse. Elle a aidé à l’émergence d’une seconde extrême droite aux côtés du FN : la coagulation jusque là jugée improbable d’un mouvement hétéroclite, un attelage de haridelles politiques venues de tous les horizons, où l’on peut voir des bourgeoises UMP, poussettes et enfants en guise de boucliers, venir à des manifs et prêtes au coup de poing en compagnie d’Identitaires néo-fascistes ou de cathos intégristes nostalgiques de l’Ancien régime.

Hollande la traite comme elle le mérite

Il est compréhensible que le gouvernement, confronté à un mouvement en voie d’ultra radicalisation, porteur de toutes les haines et frustrations accumulées depuis un an par le peuple de droite, au bord de la désobéissance civile, entende en finir avec les débats sur le mariage pour tous.

Nul doute que le pouvoir socialiste entend ainsi priver la nouvelle Manif pour tous, prévue pour le 26 mai prochain, de sa substance. On ne peut cependant s’empêcher de penser qu’il est peut être déjà trop tard, et que les appels à ce qui s’apparente à une sorte de guerre civile morale, lancés par Barjot et quelques autres, ont déjà causé d’irrémédiables dégâts.

En 1988, Mitterrand s’était lancé dans une dernière campagne présidentielle parce qu’il entendait éjecter du pouvoir “les bandes” et “les factions” qui “veulent tout” et “menacent la République”. Que conseillerait-il aujourd’hui à François Hollande, confronté au plus grave mouvement politique de droitisation que connait la France depuis les années 30 et 40 ? De le traiter comme tel, tout simplement.