Les avancées des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers, intersexes et asexuelles (LGBTQIA+) n’ont jamais été aussi visibles à l’échelle mondiale. Mariage pour toustes, reconnaissance juridique des personnes trans, protections contre les discriminations : en quelques décennies, des progrès majeurs ont été accomplis, notamment en Europe, en Amérique du Nord et dans une partie de l’Amérique latine. Pourtant, ces conquêtes restent profondément fragiles. C’est le constat central dressé par Jean-Marc Berthon, ambassadeur de la France pour les droits des personnes LGBT+, dans Fragiles libertés. Révolutions et contre-révolutions : LGBT+ dans le monde, publié en 2025.
Fruit de plusieurs années de missions diplomatiques, de déplacements sur le terrain et d’échanges avec des militant·es et des responsables politiques, l’ouvrage propose un état des lieux précis et documenté de la situation des personnes LGBTQIA+ à travers le monde. Loin d’un essai théorique, il s’agit d’un récit ancré dans des réalités concrètes, parfois brutales, qui met en lumière les ressorts politiques et idéologiques de la haine anti-LGBTQIA+.
Un monde profondément polarisé
Le livre décrit une planète traversée par de profondes fractures. D’un côté, des États qui reconnaissent et protègent, au moins juridiquement, les personnes LGBTQIA+. De l’autre, plus de soixante pays où les relations entre personnes de même sexe restent criminalisées. Dans certaines régions du Moyen-Orient, les peines encourues peuvent aller jusqu’à la prison à vie, voire la peine de mort. Ailleurs, notamment en Afrique ou en Asie, la loi est parfois moins explicite, mais les violences sociales, policières ou familiales rendent la vie quotidienne dangereuse, voire impossible.
Cette opposition apparente masque toutefois une réalité plus nuancée. Les lignes de fracture ne passent pas seulement entre les États, mais aussi au sein même des démocraties, y compris celles dotées de cadres juridiques protecteurs.
La haine comme outil politique
Dans de nombreux pays, la question LGBTQIA+ est devenue un instrument politique à part entière. Des gouvernements autoritaires ou illibéraux s’en servent pour détourner l’attention des crises économiques, de la corruption ou des atteintes à l’État de droit. Les personnes LGBTQIA+ sont alors désignées comme une menace pour la société, la famille ou les enfants.
La Russie illustre cette stratégie à grande échelle. Depuis une décennie, le pouvoir y a érigé les « valeurs traditionnelles » en pilier idéologique, criminalisant toute visibilité LGBTQIA+ et exportant ce discours bien au-delà de ses frontières. En Europe centrale, des pays comme la Hongrie ont adopté des lois restreignant l’expression, l’éducation ou la reconnaissance des familles LGBTQIA+, au nom de la protection de l’enfance.
Aux États-Unis, la polarisation est particulièrement marquée. Si certains États renforcent les protections, d’autres multiplient les textes visant les personnes trans, notamment en matière d’accès aux soins, à l’école ou au sport. Ces politiques sont portées par des réseaux puissants, mêlant responsables politiques, organisations religieuses et groupes de pression bien financés, dont l’influence dépasse largement le cadre national.
Des droits sans protection réelle
L’ouvrage souligne également l’écart persistant entre le droit et la réalité vécue. En Amérique latine, plusieurs pays disposent de législations parmi les plus progressistes au monde, mais la région reste l’une des plus violentes pour les personnes LGBTQIA+, en particulier les femmes trans. L’impunité y demeure largement la règle.
En Afrique, la persécution touche en priorité les plus précaires. Criminalisation, chantage, extorsions et arrestations arbitraires composent une véritable économie de la peur, qui frappe celles et ceux qui n’ont ni ressources, ni réseaux, ni possibilité de se protéger ou de fuir.
L’ONU, terrain de bataille diplomatique
Les droits LGBTQIA+ sont désormais un enjeu central dans les instances internationales. Aux Nations unies, chaque mention de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre donne lieu à des négociations tendues. Des coalitions d’États s’organisent pour bloquer les textes ou en vider la substance, en invoquant la souveraineté nationale ou le rejet de valeurs présentées comme occidentales.
Face à ces résistances, les pays favorables à l’égalité avancent souvent avec prudence. Dans ce contexte, le rôle de la société civile apparaît déterminant pour documenter les violences, soutenir les victimes et maintenir ces enjeux à l’agenda international.
Une alerte démocratique
Au-delà de la situation des personnes LGBTQIA+, Fragiles libertés pose une question plus large : celle de la solidité des démocraties contemporaines. Les attaques visant les minorités sexuelles et de genre servent fréquemment de laboratoire à des politiques de restriction plus générales des libertés publiques.
Les reculs ne commencent presque jamais par les majorités. Ils ciblent d’abord celles et ceux que l’on pense isolés, vulnérables ou politiquement sacrifiables.
Des libertés à défendre
Le constat est sans détour : les avancées obtenues ces dernières décennies sont réelles, mais réversibles. Elles existent parce qu’elles sont défendues. Lorsqu’elles cessent de l’être, elles reculent.
Fragiles libertés s’impose ainsi comme un ouvrage de référence pour comprendre pourquoi les droits LGBTQIA+ sont devenus un marqueur central des choix démocratiques contemporains, en France comme ailleurs.

















