Afrique : 500 volontaires homosexuels pour mieux connaître le risque du VIH

Quels sont les comportements des hommes africains ayant des rapports homosexuels face aux risques d’infections sexuellement transmissibles (IST), et en particulier face à celle due au virus du sida (VIH) ? Une prise en charge globale et préventive de cette population à risque est-elle réalisable ? Difficile de le savoir dans une Afrique subsaharienne où l’homosexualité a longtemps été taboue et où plusieurs pays ont adopté des législations homophobes.

Pour répondre à ces interrogations, des chercheurs français et africains ont lancé une étude baptisée « CohMSM » (pour « cohorte » et « Men having sex with men », MSM), sous l’égide de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS, France). Ce suivi trimestriel au long cours se déroule dans quatre pays : Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali et Sénégal. Le projet d’y ajouter le Cameroun s’est heurté au refus du comité d’éthique national de ce pays, où l’homosexualité est un délit puni de cinq ans d’emprisonnement.

Une épidémie mal documentée

Dans ces pays d’Afrique de l’Ouest, la prévalence du VIH chez les 15-49 ans demeure relativement faible, selon l’Onusida : 0,5 % pour le Sénégal, 0,9 % pour le Burkina Faso et le Mali, 2,7 % en Côte d’Ivoire – où elle s’élevait à 7 % à la fin des années 1990. Des chiffres notablement plus bas qu’en Afrique australe, où elle atteint 15 % au Zimbabwe, 19 % en Afrique du Sud ou 21,9 % au Botswana.

Mais, l’épidémie est mal documentée en Afrique de l’Ouest et les données fiables manquent cruellement sur la part de la transmission liée à des rapports sexuels entre hommes et à la consommation de drogues injectables. Une enquête dans six pays publiée conjointement en 2010 par l’Onusida et la Banque mondiale estimait que les contaminations lors de relations entre hommes représentaient, selon les pays, entre 2 et 15 % des nouvelles infections par le VIH, derrière les partenaires multiples, les couples stables et les professionnelles du sexe.

500 volontaires séronégatifs

L’étude « CohMSM » devrait donc contribuer à lever le voile. Chacun des quatre pays aura un contingent de 100 participants volontaires séronégatifs, hormis le Mali qui en enrôle 200.

L’essai est mené sous la responsabilité de Christian Laurent (Institut de recherche pour le développement, université de Montpellier) et de Bintou Dembele-Keita (Centre de soins, d’animation et de conseil pour les personnes vivant avec le VIH-CESAC, Bamako, Mali). Un rendez-vous de suivi, avec convocation par SMS, est prévu tous les trois mois. Une occasion d’effectuer un test de dépistage du VIH et d’évoquer dans un questionnaire les comportements sexuels et leurs changements au cours du projet. Dans le cas où un volontaire deviendrait séropositif au cours du suivi, il serait immédiatement mis sous traitement antirétroviral quel que soit l’état de ses défenses immunitaires.

Les premières observations en Côte d’Ivoire font état d’une prévalence assez élevée de condylomes (verrues génitales ou anales dues au papillomavirus-HPV) et sur les 80 premiers enrôlés, 4 patients sont déjà devenus séropositifs pour le VIH. Elles indiquent aussi que « la population des MSM ivoiriens se déplace dans toute la région jusqu’au Maroc ou au Mali selon les lieux d’intérêts, fêtes, carnavals ou autres où des rencontres peuvent avoir lieu, explique le Dr Camille Anoma, investigateur de la cohorte CohMSM. Plusieurs études ont montré que cette population était très touchée. La prise en charge des IST et l’utilisation du préservatif ont fait chuter l’incidence du VIH. »

Trouver une écoute

En Côte d’Ivoire, l’étude repose sur la clinique de Confiance, à Abidjan, une structure de prise en charge pour la prévention et les soins, ouverte en 1992. Gérée par l’Espace Confiance, une organisation non gouvernementale coordonnée par le Dr Camille Anoma, elle est tournée vers des populations – notamment les professionnels du sexe, les hommes ayant des rapports homosexuels et les usagers de drogues – qui ont du mal à trouver la même écoute dans les structures officielles.

« Il est presque impossible d’exprimer son mal auprès d’un médecin à l’hôpital, car d’emblée tu es jugé sur ton apparence. C’est différent à l’Espace Confiance où nous pouvons parler de toutes les maladies et de notre homosexualité ouvertement. Quand on en parle à d’autres homosexuels, ils sont étonnés qu’un tel endroit existe », confie Julien, un étudiant âgé de 24 ans, patient de la clinique depuis 2011 et qui participe à la cohorte.

Il n’est pas facile pour un habitant d’une petite ville, ayant des rapports homosexuels, de se confier au médecin qui connaît toute sa famille, ajoute Julien. « L’une des premières difficultés est la distance, prévient-il. Le coût des transports est le premier frein à se déplacer jusqu’à la clinique de Confiance. » La structure bénéficie de financements du Sidaction et de Aides.

« La cohorte donnera lieu à des publications scientifiques mais servira également à un plaidoyer contre la stigmatisation des homosexuels et des professionnels du sexe. Plus elle sera visible, mieux nous nous porterons », confie le Dr Anoma.

Paul Benkimoun (Abidjan, Côte d’Ivoire)
Journaliste au Monde