«A Fleury, on nous isole sinon on se fait violer et massacrer»

Enquête En prison, les transsexuelles sont harcelées, parfois privées de traitement.

Par ONDINE MILLOT

C’est une lettre arrivée à Libération.«Je m’appelle Chloë. Je suis en prison depuis douze ans. Je vis seule, regardée comme une chose. Impossible d’aller à la douche sans être suivie. Les regards sont curieux ou vicieux, quand cela ne tourne pas à l’agression.» Chloë est transsexuelle. «Jupe longue, cheveux longs, maquillage, poitrine, une vraie femme», décrit son avocate, Claire Rozelle. Une vraie femme, détenue parmi les hommes. Car faute d’avoir obtenu l’autorisation d’être opérée, Chloë ne peut pas changer d’état civil. Et donc ne peut pas intégrer une prison pour femmes.

Chloë écrit qu’elle s’est fait violer quatre fois en prison, au centre de détention de Caen. Elle a depuis été transférée à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, où elle est «bien traitée», dit Henri Ricciardi, membre de l’association Aides, qui lui rend visite régulièrement. Mais «dans une terrible solitude», ajoute-t-il. «Elle n’a le droit de côtoyer ni les hommes, car l’administration craint qu’ils ne l’agressent, ni les femmes, car elle est considérée comme un homme.»

Isolement. Le cas de Chloë n’est pas une exception. Chaque année, l’association Pastt – Groupe de prévention et d’action pour la santé et le travail des transsexuel(le)s – visite une quinzaine de transsexuelles à Fleury-Mérogis. Et estime qu’elles sont une centaine dans l’ensemble des prisons de France. «Lorsqu’elles sont avec les hommes, elles sont victimes de harcèlement, d’insultes, d’agressions physiques et de viols», dit Emmanuelle Sené, de l’association Act Up. «A Fleury, on nous met dans un quartier isolé, sinon on se fait violer et massacrer», confirme Charme, une prostituée incarcérée à trois reprises pour racolage. L’isolement comme seule solution de protection : c’est avec ce même raisonnement que l’Italie vient d’annoncer la création d’une prison spéciale pour les transsexuelles. «Ça part d’une volonté d’améliorer la situation existante, dit François Bès, de l’Observatoire international des prisons. Mais c’est quand même très discriminatoire. En France, l’isolement prive les personnes de l’accès aux activités et au travail.»

Sonia, incarcérée trois fois à Fleury et à Fresnes pour proxénétisme (bien qu’elle proteste farouchement de son innocence) raconte elle aussi le «calvaire» de la détention. «Tu ne peux pas travailler, donc pas gagner d’argent. Tu n’as pas le droit d’aller en promenade, pas le droit de participer aux ateliers. Mais le pire, c’est la fouille. A chaque parloir, il faut se mettre nue devant les surveillants qui rigolent. Il y en a un qui m’a traitée d’extraterrestre. Un autre qui m’a crié : “sale travelo, tu devrais avoir honte. C’est pas une poitrine que tu as, je vais prendre un bistouri et t’enlever tout ça.”» Son compagnon, Thierry, subissait les mêmes injures lorsqu’il lui rendait visite : «On me traitait de pédé, et ma femme de sale pute.» Les commentaires dégradants, «on y a droit presque à chaque fouille», dit Charme. «Ça les rend fous de voir quelqu’un qui a à la fois de la poitrine et des organes génitaux masculins.»

Autre problème : l’accès aux hormones. «La plupart des personnes sont privées de leur traitement lorsqu’elles arrivent en détention, explique Cornelia Schneider, responsable de l’association Support transgenre Strasbourg (STS). Or quand on arrête la prise d’hormones féminines, il y a des conséquences très graves : ménopause forcée, dégradation du squelette…» Dans sa lettre, Chloë raconte que, suivant la personnalité des médecins pénitentiaires qui la suivaient, elle a eu droit, ou pas, aux hormones. Un traitement «en yo-yo» aux effets dévastateurs.

Dérogation. Du côté de la direction de l’administration pénitentiaire, qui a refusé de nous répondre, on agit de manière pragmatique, parfois compréhensive, toujours au coup par coup. A Fleury-Mérogis, les transsexuelles ont eu droit à une dérogation pour cantiner des produits de beauté féminins. «Ça n’a l’air de rien mais quand peut s’épiler, mettre un peu de crème hydratante, ça soulage», dit Charme. Ailleurs, c’est parfois à des intervenants extérieurs que les transsexuelles doivent un peu de réconfort. «Réussir à leur faire passer un soutien-gorge, c’est comme donner une aspirine a quelqu’un qui a mal à la tête, raconte un aumônier de prison qui préfère rester anonyme. On sait tous qu’il y a des hommes qui se travestissent le soir en rentrant du travail. Et en prison, on irait au mitard pour une jupe !»

Alerté par des détenus transsexuels, le contrôleur des prisons, Jean-Marie Delarue, a promis d’être vigilant sur le sujet et notamment sur l’accès aux soins. De son côté, Chloë, désespérée de n’avoir toujours pas réussi à se faire opérer, s’est automutilée.

 

souce: http://www.liberation.fr/societe/0101620267-a-fleury-on-nous-isole-sinon-on-se-fait-violer-et-massacrer