Caraïbes : Sainte-Lucie abroge les lois criminalisant l’homosexualité

C’est une victoire juridique historique pour les droits humains dans les Caraïbes. Le 29 juillet, la Haute Cour de Sainte-Lucie, siégeant dans le cadre de la Cour suprême des Caraïbes orientales (ECSC), a déclaré inconstitutionnelles les dispositions du Code pénal criminalisant les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. Une décision qui abroge enfin les articles 132 et 133 du code hérité de l’ère coloniale britannique et marque un tournant dans la région.

« Ces lois n’avaient plus leur place dans un État qui se veut respectueux des droits fondamentaux », a tranché le juge Shawn Innocent dans un jugement de 56 pages. Il a notamment estimé que ces textes violaient plusieurs garanties constitutionnelles, dont les droits à la vie privée, à la liberté, à l’égalité devant la loi et à la protection contre la discrimination. Le tribunal a également reconnu que la simple existence de ces lois entretenait une stigmatisation violente, ouvrant la voie à l’humiliation publique, aux agressions physiques et à la marginalisation des personnes LGBTQ+.

Le Code pénal de Sainte-Lucie punissait jusqu’alors de dix ans d’emprisonnement les actes dits de « sodomie » ou « indécence grave » entre adultes consentants. Bien que rarement appliquées, ces dispositions étaient brandies comme des outils d’intimidation, légitimant socialement l’exclusion, les violences, et les discriminations structurelles.

Une bataille de longue haleine

La décision est l’aboutissement d’un combat judiciaire engagé depuis près de deux décennies par l’Eastern Caribbean Alliance for Diversity and Equality (ECADE), en partenariat avec des plaignants locaux et le collectif United and Strong. L’affaire a été défendue par un collectif d’avocat·es caribéens et internationaux agissant bénévolement, avec l’appui technique et financier de partenaires comme le Royaume-Uni, l’Union européenne et le Canada.

« Cette décision est profondément personnelle, pour moi comme pour tant d’autres qui ont grandi dans la peur et l’invisibilité », a réagi Kenita Placide, directrice exécutive d’ECADE. « C’est aussi un message d’espoir à l’ensemble de la région. »

Avec Sainte-Lucie, ce sont désormais cinq pays relevant de la juridiction de l’ECSC qui ont mis fin à la criminalisation de l’homosexualité : Antigua-et-Barbuda, Saint-Kitts-et-Nevis, la Dominique, la Barbade et désormais Sainte-Lucie.

Un combat régional toujours en cours

Mais l’égalité reste encore hors de portée dans plusieurs États caribéens. La Jamaïque, le Guyana, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, la Grenade, ainsi que Trinidad-et-Tobago maintiennent encore des dispositions pénales similaires. Et si certains de ces pays font l’objet de recours constitutionnels en cours, d’autres, comme Trinidad-et-Tobago ou Saint-Vincent, ont récemment confirmé en justice le maintien de ces lois.

Dans les pays insulaires conservateurs, les victoires judiciaires ne suffisent pas à transformer les mentalités. « La loi change, mais l’homophobie demeure dans les rues, les familles, les écoles », confie un activiste sainte-lucien sous couvert d’anonymat. « La majorité des jeunes gays caribéens n’envisagent l’avenir qu’en exil. »

Un signal fort pour les droits fondamentaux

La dépénalisation à Sainte-Lucie s’inscrit dans une dynamique plus large de remise en cause des législations héritées de la colonisation britannique. Elle envoie un signal fort, à la fois politique et symbolique, dans une région encore profondément marquée par les normes morales imposées par les anciens empires.

Saluée par des organisations internationales comme l’ONUSIDA, la décision de la Haute Cour pourrait aussi avoir un impact positif sur la santé publique. La criminalisation a longtemps freiné l’accès aux soins, notamment pour les personnes vivant avec le VIH, en nourrissant la peur, l’isolement et le silence.

Le gouvernement de Sainte-Lucie dispose de 42 jours pour faire appel. En attendant, la communauté LGBTQ+ locale célèbre un moment historique, tout en gardant à l’esprit que les plus grandes batailles se livrent souvent hors des tribunaux : dans les familles, sur les réseaux sociaux, à l’école ou sur le lieu de travail.