Après des décennies de stigmatisation et plusieurs mois de polémique, l’Établissement français du sang (EFS) a confirmé la suppression progressive de ses archives mentionnant des relations homosexuelles, longtemps utilisées comme critère d’exclusion pour le don. Une décision prise à la suite de la mobilisation de l’association LGBTQIA+ TOUS.TES, qui avait dénoncé un « fichage » discriminatoire.
Des décennies d’exclusion
Depuis 1983, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) étaient automatiquement écartés des collectes, au nom de la lutte contre le sida. Leurs dossiers étaient marqués d’une mention infamante. L’interdiction a été assouplie en 2016, avec une exigence d’abstinence d’un an, réduite ensuite à quatre mois, avant d’être totalement levée en 2022, alignant les critères sur ceux de l’ensemble des donneurs.
Mais si la loi avait évolué, les fichiers, eux, étaient restés. Conservées par l’EFS dans une « capsule informatique sécurisée », ces données sensibles continuaient de lister l’orientation sexuelle de milliers d’hommes. Une situation jugée contraire au règlement général sur la protection des données (RGPD), qui impose le principe de minimisation.
Une victoire obtenue sous pression
C’est l’association TOUS.TES, fondée en 2025, qui a mis en lumière le problème. À travers une pétition lancée à la mi-juillet, elle a recueilli plus de 16 000 signatures et publié une argumentation juridique de 34 pages. De quoi contraindre l’EFS à répondre publiquement.
« Nous sommes heureux·ses de cette victoire pour le droit à la vie privée et à la dignité de milliers d’hommes homosexuels et bisexuels dont l’intégralité des données personnelles, incluant leur adresse postale et leur numéro de téléphone, a pu être conservée pendant des durées abusives, pour n’avoir fait de mal que de proposer leur aide pour sauver des vies », a réagi Romain François, président de TOUS.TES. L’association se dit cependant vigilante : elle demande des éclaircissements sur le sort des données concernant les femmes lesbiennes, fichées jusqu’en 2002, et dénonce l’exclusion persistante des hommes trans parmi les critères d’éligibilité.
Vers un effacement progressif
La direction de l’EFS reconnaît désormais que ces données « n’apportent plus de plus-value en termes de sécurité transfusionnelle ». Selon sa directrice générale déléguée, Sara-Lou Gerber, le processus de suppression est lancé. Les dossiers des personnes jamais admises au don seront purement effacés, tandis que les profils de donneurs actifs verront disparaître toute mention relative à leur orientation sexuelle. « L’expertise informatique est en cours, et nous estimons que l’essentiel des suppressions sera achevé d’ici fin septembre ».
Une avancée, mais des zones d’ombre
Si cette décision constitue une étape majeure, les zones de flou demeurent. En 2022, la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà condamné la France pour avoir conservé de telles données en violation du droit au respect de la vie privée. Mais l’EFS doit aussi répondre aux exigences du ministère de la Santé et de l’Agence du médicament (ANSM), qui imposent en principe la conservation des motifs d’ajournement pendant quinze ans.
Entre impératif de traçabilité et respect des droits fondamentaux, l’équilibre reste fragile. Pour TOUS.TES, la bataille ne fait que commencer. L’association promet de continuer à interpeller les pouvoirs publics tant que toutes les formes de fichage liées à l’orientation ou à l’identité de genre n’auront pas disparu.
C’est donc bien une avancée réelle mais tardive, qui corrige néanmoins une anomalie et envoie un signal positif. Elle montre que le droit à l’égalité n’est jamais acquis : il se gagne souvent à force de persévérance et de vigilance citoyenne.















