Vidéo. Au Cameroun, l’homophobie gagne du terrain

Il y a bientôt deux ans, en mai 2013, Benoît Kédé, militant d’une association de défense des droits des homosexuels au Cameroun, est arrêté dans la ville côtière de Kribi, dans le sud du pays, après avoir reçu deux SMS de la part d’un homme. L’activiste s’est rendu à un rendez-vous qui était en réalité un guet-apens. Il passe deux semaines en détention provisoire puis il est condamné à un an de prison avec sursis pour « tentative d’homosexualité ».

Ce cas, comme bien d’autres, a été enregistré par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Il s’agit du « phénomène des arnaqueurs » dont les défenseurs des droits des gays sont victimes au Cameroun, un pays où l’homosexualité est un délit passible de cinq ans d’emprisonnement depuis l’ordonnance 347 bis intégrée au Code pénal en 1972.

Dans un rapport présenté le 25 février, la FIDH dénonce les intimidations, les persécutions, les menaces de mort et les meurtres auxquels sont confrontés les militants lesbiens, gays, bi, transgenres et intersexués (LGBTI) camerounais. Ce rapport revient sur l’affaire Eric Lembembe, un journaliste et activiste des droits des homosexuels retrouvé mort en juillet 2013 à son domicile de Yaoundé, la capitale, probablement après avoir été torturé.

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L’affaire Lembembe : un cas emblématique

Il avait « le cou et les pieds brisés, ses mains et ses pieds avaient été brûlés avec un fer à repasser et son domicile saccagé », se souvient encore aujourd’hui Michel Engama, l’un de ses amis de la Camfaids, l’association que dirigeait Eric Lembembe. L’enquête est au point mort, et selon le rapport de la FIDH, les autorités camerounaises font l’autruche et personne ne sait qui a tué celui qui était devenu l’un des militants les plus en vue de la cause homosexuelle dans son pays.

Si cette affaire continue de faire grand bruit, elle masque à peine toutes les autres agressions subies par les organisations qui travaillent avec la communauté LGBTI. Dans son rapport qui fait suite à une enquête de terrain réalisée en 2014 dans plusieurs villes du Cameroun, la FIDH évoque l’incendie en juin 2013 – probablement d’origine criminelle, comme l’estiment les membres de l’association – du siège d’Alternatives Cameroun, une association basée à Douala, la capitale économique, et qui propose des dépistages gratuits et des conseils sur le VIH.

« Nous attirons en permanence l’attention des autorités sur toutes ces violations des droits des personnes homosexuelles. Mais elles ne nous écoutent pas. Nous déposons systématiquement des plaintes. Mais la police nous répond toujours qu’il n’y a pas de preuves », explique au « Monde Afrique », Yves Yomb, le directeur de cette association créée en 2006 et qui est la plus ancienne des organisations de défense des gays au Cameroun.

À la même période, les locaux d’une autre structure, le Réseau de défenseurs des droits humains en Afrique centrale (coalition de huit pays du continent établie à Douala), sont attaqués par des individus non identifiés. Depuis, sa directrice, Maximilienne Ngo Mbe, reçoit sans cesse des menaces de mort, ajoute le rapport de la FIDH.

Face à toutes ces menaces, Dominique Menoga, cofondateur de la Camfaids, a dû s’exiler en France, il y a près de deux ans. « Aujourd’hui, au Cameroun, l’homosexuel est traité comme l’était un noir en Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Va-t-il être pourchassé et anéanti comme un juif pendant la Shoah ? », s’interroge-t-il.

Des avocats dans le collimateur

La FIDH explique que les militants associatifs ne sont pas les seuls visés par cette vague d’homophobie orchestrée à un niveau plus institutionnel, où l’Etat semble encourager l‘impunité. Les rares avocats qui défendent les gays – seulement quatre sur près de 2 500 inscrits au barreau – subissent, eux aussi, des intimidations.

Le cabinet de Michel Togué a été cambriolé et l’avocat a reçu « une série de menaces anonymes par téléphone portable et par mail » liées à ses interventions sur des affaires d’homosexualité. Alice Nkom, connue pour être « l’avocate des gays » dans son pays et lauréate du prix Amnesty International des droits de l’homme en 2013, reçoit régulièrement des insultes et des menaces de mort.
« Aujourd’hui au Cameroun l’homosexuel est traité comme l’était un noir en Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Va-t-il être pourchassé et anéanti comme un juif pendant la Shoah ? », Dominique Menoga, militant LGBT camerounais exilé en France

Pour Yves Yomb, de l’association Alternatives Cameroun, toutes ces persécutions n’augurent rien de bon pour l’avenir proche. « Depuis trois ans, nous assistons à une escalade des agressions à l’encontre des gays et des militants LGBT. Je n’ai pas l’impression que ça va s’arranger de sitôt, car il règne une impunité totale pour les homophobes », s’insurge ce militant des droits humains.

Mais le directeur d’Alternatives veut tout de même garder espoir. « C’est tout le sens de notre combat : donner de l’espoir. L’espoir que les générations futures puissent vivre leur sexualité sereinement. Mais je ne suis pas sûr que nous-mêmes y arriverons un jour », dit le jeune homme, pourtant seulement âgé d’une trentaine d’années.

La FIDH fait quelques recommandations dans son rapport. Elle demande notamment l’abrogation de l’article 347 bis du Code pénal criminalisant l’homosexualité. Pour la Fédération internationale des droits de l’homme, l’une des conditions pour y arriver est que les médias et les responsables religieux « tiennent un discours public (…) fondé sur la non-discrimination, la non-violence et la liberté d’association et d’expression ».

Raoul Mbog