Témoignage : J’ai 23 ans, je suis aide-soignant mais je ne peux pas donner mon sang

Je m’appelle Steven Kuzan, j’ai 23 ans, je suis aide-soignant et de groupe sanguin B+, comme seulement 9% de la population mondiale. Amputations, brûlures sévères, j’ai été le témoin de nombreux cas où des patients avaient besoin de sang, mais jamais je n’ai pu les aider. Même si mon sang est rare et qu’il pourrait être utile à de nombreuses personnes, je ne peux pas suivre mes collègues pour le donner: notre pays m’interdit de sauver des vies. La raison: je suis homosexuel.

Telle est la réglementation française aujourd’hui, en 2015. En effet, depuis les années 80 un arrêté ministériel interdit à vie à tout “homme ayant eu ou ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, quelle que soit l’ancienneté du rapport” de donner son sang, au même titre qu’une personne toxicomane ou porteuse du VIH. L’homosexualité serait-elle encore considérée comme une maladie par l’Etat Français? L’Etablissement Français du Sang est en déficit de dons. Pourquoi exclure les homosexuels qui représentent aussi une solution à cette problématique de santé publique?

En juillet dernier, l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne a déclaré que l’homosexualité ne justifiait pas cette interdiction et a qualifié la législation française de discriminatoire. Lorsque j’ai lu cela dans la presse, je me suis dit que François Hollande allait finalement devoir honorer l’engagement qu’il avait pris de lever cette interdiction en 2012. Mais rien n’a bougé, ni lui, ni la ministre de la Santé, Marisol Touraine, n’ont réagi à cette annonce.

C’était il y a presque 9 mois, et j’ai décidé d’agir, de dénoncer. Je ne suis pas lié à un parti ou à une association, je ne suis pas un expert de la question. Mais je suis outrée de ces discriminations qu’on laisse exister avec complaisance. J’ai donc lancé une pétition sur Change.org, “Oui au don du sang pour tous“, afin d’interpeller Marisol Touraine pour qu’elle stoppe cette réglementation discriminatoire et dangereuse pour tous.

Depuis, plus de 150.000 personnes ont signé ma pétition, un chiffre que je n’aurais jamais imaginé accessible. Les signatures ont commencé à affluer, et puis il y a eu de nombreux articles de presse et reportages. Je ne suis pas à l’aise à la télévision, mais je me suis plié à l’exercice. Le mot est passé et une soixantaine d’associations, syndicats et formations politiques comme l’association Le Refuge, le Parti Socialiste ou encore le Parti de Gauche et le Centre LGBT de Touraine m’ont apporté leur soutien.
Ce dont je suis le plus fier, c’est que cette mobilisation ait permis de faire sortir de la sphère LGBT ce problème de santé publique et d’inciter le gouvernement à s’emparer de ce dossier.

Ce vendredi 3 avril, l’Assemblée nationale a voté l’amendement 1289 de la Loi Santé qui stipule que “nul ne peut être exclu du don de sang en raison de son orientation sexuelle“. Un beau symbole qui me rassure, mais qui concrètement ne fait pas changer la réglementation: les homosexuels et bisexuels sont toujours interdits du don du sang puisque cette question dépend de la réglementation, et pas de la loi, et pour que cette discrimination cesse, il faut un arrêté ministériel de Marisol Touraine.

Je lance un appel à Marisol Touraine: saisissez vous du dossier une bonne fois pour toutes et prenez cet arrêté pour enfin stopper cette discrimination injustifiée! Vous vous êtes félicitée sur Facebook d’avoir soutenu l’amendement en faveur de la levée de l’interdiction. C’est une bonne chose, mais je compte sur vous pour ne pas faire les choses à moitié. Ne mettez pas en place des périodes d’abstinences farfelues uniquement réservées aux homosexuels comme au Canada (5 ans) ou aux Royaume-Uni (1 an). Cela reviendrait tout simplement à dire “nous autorisons mais sans autoriser”. Les mesures déjà prises pour les personnes hétérosexuelles sont largement suffisantes (pas de don dans les 4 mois suivant un rapport à risque, chaque poche de sang est testée, etc) puisqu’il n’y a pas eu de contamination au VIH constatée depuis de nombreuses années, suite à une transfusion. Ce n’est pas parce que le cœur d’un homme balance pour un autre homme qu’il y a rapport à risques. Dire ceci serait tout autant discriminatoire que la réglementation actuelle.

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Je ne veux pas mentir pour avoir à donner mon sang. Je ne veux pas avoir à cacher qui je suis pour pouvoir aider mon prochain. Je n’ai pas à avoir honte de qui je suis pour pouvoir sauver des vies.

Je compte sur vous, Madame Touraine, pour prendre en compte le sentiment de milliers d’homosexuels et de bisexuels comme moi qui sont fatigués d’être traités comme des marginaux.

La France est un magnifique pays, défenseur des droits de l’Homme et de l’égalité. Notre devoir est de promouvoir ces valeurs indispensables à la cohésion et au vivre ensemble. La France, le pays qui doit être, plus que jamais, une exemple dans le domaine de la lutte contre les discriminations.