Recours à l’aide médicale à la procréation : « Déboutées en France », elles racontent leur parcours compliqué

Fin juin, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est prononcé en faveur de l’ouverture de la procréation médicale assistée (PMA) pour toutes les femmes, actuellement réservé aux seuls couples hétérosexuels. François Hollande attendait cet avis pour légiférer. Emmanuel Macron également, « afin d’assurer dans la société un vrai débat, pacifié et argumenté ».

Alors, en attendant une « évolution de la législation », qui pourrait passer en 2018, avec la révision de la loi de bioéthique, selon notamment la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn, des milliers de femmes célibataires et couples lesbiens continuent de se rendre à l’étranger pour avoir un enfant, principalement la Belgique et l’Espagne, ou elles choisissent d’emprunter des voies parallèles, qui ne sont pas sans conséquence, comme en témoignent sur l’Express ces françaises « déboutées ».

Camille*, 28 ans, a décidé de « faire un bébé toute seule », mais n’a pas les moyens d’avoir recours à l’insémination artificielle avec don de sperme à l’étranger. Elle a donc opté pour une « insémination artisanale » avec « dons de sperme » dits « sauvages ». Pratique non médicalisée et très risquée quand on n’est pas en mesure de vérifier l’état de santé du donneur. Elle a convenu d’un « arrangement » avec Pierre*, trentenaire, rencontré sur un forum spécialisé, qui vivait à quelques kilomètres de chez elle. Il a accepté, sans contrepartie, ni désir d’interagir ensuite dans la vie de l’enfant, et lui a aussi présenté ses résultats d’analyses médicales : sa démarche était « sérieuse », « totalement altruiste », si ce n’est « l’honneur d’être le donneur. » Il a même proposé « de signer un contrat plus tard, pour sceller notre accord si je tombe enceinte. »

Et le miracle s’est produit, mais Pierre n’a pas respecté ses engagements, aspirant à un droit de visite régulier ou formulant des demandes de prénoms, à rencontrer la famille de Camille, jusqu’à la menacer, pour une relation sexuelle, de « raconter la façon dont cet enfant a été conçu ». Un fils, qu’il reconnaîtra, de manière anticipée, et dans toutes les mairies de la région, à l’insu de la maman, qui avait pourtant « demandé la mise en place d’un protocole pour accoucher anonymement ». Le petit garçon porte donc le nom de son géniteur, qui pourrait user de son statut légal pour le récupérer à la crèche ou à l’école.

Contrairement à Camille, Anne a préféré « attendre le bon partenaire avec qui vivre l’aventure de la parentalité ». Mais à 35 ans, l’occasion ne s’est pas encore présentée. Elle a donc décidé de faire congeler ses ovocytes avant que leur qualité ne baisse.

La procédure étant interdite en France, malgré l’avis favorable de l’Académie de médecine, Anne s’est rendue dans une clinique privée de Barcelone, en vue d’une possible insémination artificielle, à l’avenir. Une façon pour elle d’avoir « la garantie de préserver une continuité génétique sans passer par un don d’ovocytes » dont le fonds est en constante pénurie. L’intervention coûte « 2200 euros, auxquels s’ajoute le prix important des médicaments pour stimuler l’activité ovarienne. » Pour l’aider, sa gynécologue les lui a prescrits en France afin qu’elle soit partiellement remboursée.

Mais, lorsqu’elles se sont lancées dans l’aventure, Cindy et son épouse n’ont pas rencontré une soignante aussi compréhensive. « Ma gynécologue craignait d’être pénalisée », pour prise en charge de patientes ayant bénéficié d’une PMA à l’étranger. Cinq ans de prison et 75000 € d’amende, comme l’a rappelé en janvier 2013 le ministère de la Santé, avant d’abroger le texte en 2016. « Nous nous sommes donc rapprochées de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) pour trouver quelqu’un qui accepterait de me suivre en France », poursuit Cindy. D’autres parents leur ont donné les coordonnées d’un médecin, ainsi que d’une clinique privée de Gérone, en Espagne. « Nous avions un désir d’enfant depuis quatre ans. Ça a fonctionné au deuxième essai. »

Mais, l’épouse de Cindy doit encore adopter son fils « pour être reconnue comme représentante légale, ce qui prend une année à Montpellier où nous vivons ». Tout un parcours que le couple juge illogique. « Dans plusieurs pays voisins, la PMA se fait ‘à domicile’ sans que cela ne pose de problème. Pourquoi n’est-ce pas le cas en France? »

Royaume-Uni, Danemark, Belgique, Pays-Bas, Espagne… En refusant la PMA aux couples homosexuels et aux femmes célibataires, la France fait effectivement figure d’exception. « Quasiment tous les jours, et parfois plusieurs fois dans la journée, je suis obligé de dire à des patientes qu’elles doivent aller à l’étranger pour leur projet d’enfant car c’est impossible en France », constate le professeur Jean-Marie Antoine, gynécologue dans le service de médecine de la reproduction à l’hôpital Tenon à Paris. Une suggestion faite y compris aux femmes qui entrent dans le cadre de la loi française, mais dont les chances de tomber enceinte sont moindres.

La PMA à l’étranger représente un tout autre budget. Pour chacune de ses inséminations, Cindy a déboursé 980 euros, alors qu’en France, la procédure est intégralement remboursée (avant 43 ans). Ce régime ne devrait cependant pas s’appliquer « pour toutes » et de la même façon, si la loi est adoptée. Dans ses « recommandations pour la mise en oeuvre », l’un des trois rapporteurs de l’avis du CCNE, Frédéric Worms, a évoqué une « prise en charge différenciée », « une forme d’une contribution partielle », « en fonction des revenus », de façon à ne pas fragiliser le système de santé français, d’assurance sociale ou de couverture maladie.

Cindy s’en indigne : « L’égalité doit être complète, tant pour la PMA que pour sa prise en charge », autrement « l’injustice persiste ».

C’est pour cela qu’on parle de discrimination.

* Les prénoms ont été modifiés