“Pas de Mariage de 2ème Classe” : Le débat sur l’égalité des droits gagne l’Allemagne

L’approbation, par référendum, du mariage homosexuel dans l’Irlande catholique, le 22 mai 2015, provoque un vif débat en Allemagne. Lundi 1er juin, 150 personnalités ont écrit à la chancelière, Angela Merkel, pour que les couples homosexuels puissent à l’avenir bénéficier des mêmes droits que les couples hétérosexuels. Des artistes, des écrivains, plusieurs dirigeants des Verts, de Die Linke (la gauche radicale), des membres du Parti libéral (dont Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, ministre de la justice de 2009 à 2013) mais aussi des responsables sociaux-démocrates et même deux membres de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) jugent qu’« il est temps d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe ». Depuis 2001, les couples homosexuels peuvent conclure un « contrat de vie commune » mais restent désavantagés en matière de fiscalité et d’adoption.

“Pas de Mariage de 2ème Classe”

Les signataires ne demandent pas à la chancelière d’y être favorable, mais simplement de laisser les députés se prononcer en conscience sur le sujet sans être obligés de suivre une quelconque consigne de leur parti. Exactement ce que propose de son côté Christine Lüders, présidente de la Haute Autorité fédérale contre les discriminations :

« Je suis certaine qu’une grande majorité des parlementaires est en faveur du mariage gay », a-t-elle affirmé lundi 1er juin.

Dans un tel cas de figure, l’issue du vote ne fait, en effet, aucun doute. Non seulement parce qu’ensemble le Parti social-démocrate (SPD), les Verts et Die Linke, trois partis qui sont favorables au mariage pour tous, y détiennent une courte majorité, mais aussi parce que nombre de députés conservateurs approuvent une telle mesure. La population aussi, d’ailleurs.

Selon un sondage publié ce week-end par le Spiegel, 75 % des Allemands pensent que les homosexuels devraient bénéficier des mêmes droits en matière d’adoption. Même les électeurs conservateurs sont majoritairement de cet avis.

 

[spacer]

Désaffection de la CDU

Pourtant, il est peu probable que la CDU évolue prochainement sur le sujet. Volker Kauder, président du groupe conservateur au Bundestag, l’homme le plus important dans le parti après la chancelière, avait déclaré la semaine dernière que « le mariage, au sens de la loi fondamentale, c’est l’union d’un homme et une femme » et qu’il ne jugeait pas « juste » la pleine adoption d’un enfant par un conjoint.

En 2013, au nom de l’égalité entre homosexuels et hétérosexuels, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe avait jugé que les homosexuels devaient pouvoir adopter un enfant déjà adopté par leur conjoint. Une décision que la CDU avait désapprouvée.

LES DIRIGEANTS DE LA CDU ONT EU, SELON « DIE WELT », UNE DISCUSSION PASSIONNÉE D’UNE HEURE ET DEMIE SUR LE SUJET. DU JAMAIS-VU

Certains responsables de la CDU, inquiets de la désaffection dont est victime leur parti, notamment auprès des classes urbaines aisées, sont favorables à une évolution.

Peter Tauber, le jeune secrétaire général de la CDU, qui veut incarner un conservatisme « branché », est de ceux-là. En 2014, il a pour la première fois laissé les membres de l’Union des gays et lesbiennes (LSU) organiser leur réception annuelle au siège berlinois du parti.

Sa page Facebook n’a jamais eu autant de succès que lorsque, après le vote irlandais, il a demandé leur avis à ceux qui le suivaient sur le réseau social. En vingt-quatre heures, plus de 10 000 personnes se sont exprimées. Une large majorité d’entre elles était favorable au mariage homosexuel, mais une minorité y semblait très hostile.

Signaux conservateurs

Lundi 1er juin, les dirigeants de la CDU, réunis comme chaque début de semaine, ont eu, selon le quotidien conservateur Die Welt, une discussion passionnée d’une heure trente sur le sujet. Du jamais- vu. Selon plusieurs participants, Angela Merkel aurait repris les arguments de Volker Kauder, refusant le mariage pour tous. Il a été décidé de ne pas aller plus loin que ce que prévoit le contrat de coalition conclu avec le Parti social-démocrate. Or, justement, sur ce thème qui avait donné lieu à des discussions acharnées, le SPD n’a pas obtenu grand-chose. A peine plus que la prise en compte de l’arrêt de Karlsruhe sur l’adoption.

Mercredi 27 mai, le ministre de la justice, Heiko Maas (SPD), a bien présenté un projet de loi sur le sujet, mais les modifications apportées sont mineures. Une égalité de traitement est « difficilement réalisable » tant que les conservateurs sont au pouvoir, a déclaré le ministre.

En fait, tout se passe comme si le SPD n’était pas mécontent de montrer que sur ce sujet une véritable divergence de vues l’oppose à la CDU. De son côté, cela fait plusieurs années qu’Angela Merkel, qui a fait avaler nombre de couleuvres à ses partisans (sortie du nucléaire, fin du service militaire, double nationalité pour les Turcs nés en Allemagne…), utilise la politique familiale pour leur envoyer de temps à autre des signaux conservateurs – notamment à l’Union chrétienne-sociale (CSU) en Bavière.

Combien de temps cela peut-il durer ?

Peu de temps, si l’on en croit Kathrin Göring-Eckardt, coprésidente des Verts au Bundestag. Cette femme, qui fut jusqu’en 2013 l’une des principales dirigeantes de l’Eglise protestante d’Allemagne, s’est dite convaincue que « le vote des Irlandais [allait] accélérer l’égalité de traitement en Allemagne ». Pour elle, la CDU et la CSU « ne pourront pas se soustraire indéfiniment au débat sur le mariage pour tous ». Une façon de sous-entendre que, si Angela Merkel veut gouverner avec les Verts après 2017, comme elle l’a clairement indiqué lors du congrès de la CDU en décembre 2014, il faudra que cette question figure dans le contrat de mariage que les deux partis devront alors conclure.

Frédéric Lemaître
Le Monde