MARIAGE GAY – « Une boîte de Pandore », une voie ouverte vers « l’inceste », la « pédophilie » ou encore la « polygamie », de déclarations tonitruantes en surenchères, la question du « mariage pour tous » s’est imposée comme l’un des principaux éléments clivant de la société française, en à peine quelques mois.
Si les Français disent toujours « oui » au mariage gay, les sondeurs ont enregistré un net recul sur la question du droit des homosexuels à l’adoption. Pourquoi? Une semaine avant la présentation du projet de loi sur le mariage pour tous devant le Conseil des ministres, l’Ifop s’est livré à un exercice rétrospectif qui permet de mieux comprendre l’évolution de l’opinion des Français sur cette actualité brûlante. Le HuffPost s’est procuré cette analyse.
Intitulé L’état de l’opinion sur le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels, ce document revient sur près de trente ans de mesures enregistrées par l’Ifop.
En 2011: un sujet froid
Entre 1996 et 2011, les Français sont de plus en plus nombreux à soutenir le mariage gay et l’adoption pour les couples homosexuels. À la fin de l’année dernière, la situation est celle d’un état de grâce de la question dont rien ne laisse présager les réactions qu’elle suscitera.
Premier indice de la fronde, en août 2012, un sondage IFOP pour La lettre de l’opinion vient indiquer que seuls 53% de Français soutiennent l’adoption. Cette mesure enregistre un recul de 5 points par rapport à l’année précédente alors qu’en juin 2011, 58% des sondés répondaient positivement, le plus fort soutien enregistré par l’IFOP depuis que l’institut pose la question (1995).
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Entre août et octobre 2012, alors que le sujet est revenu sur la table avec l’élection de François Hollande, l’Ifop enregistre une nouvelle fois un recul similaire, 5 points dans un sondage pour Le Figaro: les Français ne sont plus que 48% à soutenir l’adoption. « Si la tendance s’est retournée sur l’adoption depuis un an, c’est parce que ce n’était pas un sujet chaud », explique Jérôme Fourquet, directeur d’étude à l’IFOP. « Sous la présidence Sarkozy, on ne parlait pas du mariage gay. La gauche était positionnée sur le sujet, sans qu’il y ait pour autant de revendications très fortes. »
Du droit à l’enfant au droit de l’enfant
L’élection de François Hollande remet cette promesse de campagne sur la table. Et les opposants au mariage gay réagissent. La mobilisation débute le 15 août quand, à l’invitation de l’épiscopat français, les catholiques prient pour que « les enfants cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère ».
« Les opposants au mariage gay ont recentré le débat sur la question du droit de l’enfant, en opposition au droit des parents », explique Jérôme Fourquet. Pour eux, le droit de l’enfant à avoir un père et une mère est plus important que celui des parents homosexuels à avoir un enfant. « Pour trouver la parade, on change de référent. Au lieu de parler des adultes, on parle de l’enfant et le débat se recentre sur eux », continue-t-il. « Ça, c’est véritablement nouveau », commente Jérôme Fourquet.
Éléments de langage
Ce recul sur l’adoption s’expliquerait donc par le choix du référent. Les résultats d’un sondage Ifop pour le quotidien de droite Le Figaro permet de prendre la mesure de cet effet rhétorique.
À la question « Vous savez que le Gouvernement veut légaliser le mariage homosexuel et l’adoption d’enfants par des couples de même sexe. À ce propos, lequel des deux principes suivants vous semble devoir être garanti prioritairement? » 64% des sondés ont répondu: « Il faut que les enfants adoptés puissent avoir un père et une mère ». Seuls 34% d’entre eux ont préféré affirmer qu’ « il faut que les couples homosexuels puissent adopter les enfants ».
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On perçoit aisément l’intérêt qu’il y a à poser la question de cette manière. En se plaçant du point de vue d’un hypothétique droit de l’enfant à avoir un père et une mère, on élude ainsi l’existence d’une réalité, celle d’une société qui autorise l’adoption monoparentale où, de fait, les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses (1,75 million de familles en France en 2005).
Poser la question du droit de l’enfant et non plus du droit à l’enfant, c’est aussi éluder la question des familles homoparentales, là encore une réalité avec une fourchette d’entre 24.000 et 40.000 enfants concernés en France.
Un effet crise?
Au-delà de la question du référent, il y a aussi le contexte politique et social. Droit de vote des étrangers, Mariage gay, adoption et salles de shoot constituent plusieurs marqueurs du libéralisme sociétal. « Sur ces questions il y a un raidissement de l’opinion, une tendance à la droitisation qui peut s’expliquer par la dégradation de la situation économique », explique Jérôme Fourquet. « Le pays traverse une crise grave, les Français ont donc moins tendance à faire preuve de générosité ».
À cet égard, difficile de ne pas comparer les réticences actuelles à travers le prisme du vote du PACS. Projet de loi du gouvernement socialiste, le PACS est voté en 1999, année pendant laquelle la France connaîtra 3% de croissance, un chiffre qui fait rêver aujourd’hui. « Pour la première fois, la société française regarde en face la question de l’homosexualité », rappelle Jérôme Fourquet. « On sort des années SIDA, et pour ces couples gays où l’un des deux conjoints est mort, rien n’est prévu pour qu’il puisse hériter de son conjoint ». Face à cette injustice, les Français se montrent alors très compréhensifs. En 2003, 86% d’entre eux estimaient que les couples homosexuels « devraient avoir le droit en France », de « pouvoir hériter l’un de l’autre », 79% de « pouvoir bénéficier des mêmes avantages que les couples pour les impôts », 55% de pouvoir « se marier ». Mais sur la question de l’adoption, l’opinion tiquait déjà: 59% des sondés ne pensant pas que les couples homosexuels devraient pouvoir « adopter, en tant que couple, des enfants ».
Un clivage politique important
Il faut dire que les Français reviennent de loin. En 1986, 25% d’entre eux, soit un quart, considéraient que l’homosexualité était « une maladie que l’on doit guérir », 16% qu’il s’agissait d’une « perversion sexuelle à combattre ». Au total donc, 41% des Français avaient une opinion très négative de l’homosexualité.
« Ça reste l’histoire d’une grande décrispation sur le sujet », explique Jérôme Fourquet. À cet égard, la crispation récente sur la question de l’adoption par les couples homosexuels témoigne d’une France véritablement clivée sur le sujet. Si le soutien à l’adoption diminue de 5 point pour l’ensemble des Français entre août et octobre 2012, on ne note pratiquement pas de différence de mesure chez les sympathisants de gauche (68% en août, 69% en octobre). À droite, l’effet est beaucoup plus marqué. Les sympathisants UMP, dont 38% soutenaient encore l’adoption pendant le mois d’août, ne sont plus que 21% en Octobre. Sur le mariage, l’effet est important, mais moins fort avec une baisse de 10 points (46% à 36%) sur ces deux mois.
La crispation est beaucoup plus forte parmi les sympathisants UMP qu’au sein de l’électorat Front national. Entre août et octobre, les mesures ne varient que très peu. « Jean-Marie Le Pen disait ‘on n’est pas là pour faire la police de la braguette’, et de fait le mariage gay et l’homosexualité ne sont pas des thèmes de prédilection du Front national », rappelle Jérôme Fourquet.
Ces Français qui s’opposent à l’adoption
Quelle est donc cette France qui s’oppose à l’adoption pour les couples homosexuels? À cet égard, il n’y a pas une France, mais bien quatre. Les plus de 60 ans, la catégorie socio-professionnelle des employés et ouvriers, les sympathisants de droite et les catholiques.
Le premier clivage, et le plus évident, est générationnel. 45% des moins de 35 ans et 39% des 35-49 ans considèrent que le droit des « couples homosexuels à adopter des enfants » est plus important que le droit des « enfants adoptés à avoir un père et une mère ». Les 60 – 64 ans et les 65 ans plus sont respectivement 70% et 78% à penser l’inverse.
Du côté des catégories socio-professionnelles, là encore, la France est divisée en deux. Les cadres et les professions intermédiaires étant bien plus ouverts sur la question que les employés et ouvriers. Dans cette catégorie, 65% des sondés estimaient que le droit de l’enfant à avoir un père et une mère était plus important que le droit des parents homosexuels à adopter.
Qu’ils soient pratiquants réguliers, occasionnels ou non-pratiquants, les catholiques sont, sans surprise, les plus enclins à s’opposer à l’adoption par les couples homosexuels en privilégiant massivement le droit de l’enfant au droit à l’enfant.
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source:http://www.huffingtonpost.fr/2012/10/31/mariage-gay-pourquoi-ca-coince-sur-ladoption-par-des-couples-homosexuels_n_2049149.html