Mariage gay : Monseigneur Vingt-Trois, tous les chrétiens ne pensent pas comme vous

LE PLUS. Le mariage pour tous ? “Une supercherie”, selon Monseigneur Vingt-Trois. Le cardinal a beau se défendre de toute homophobie, ses propos ont du mal à passer parmi les catholiques. Après le témoignage, en début de semaine, d’un chrétien “embarrassé”, notre contributrice va plus loin et soulève une question cruciale : plutôt que de juger, si on parlait d’amour ?

Monseigneur,

Vous avez, dans vos récentes déclarations, invité les catholiques français à faire entendre leur voix dans le débat au sujet du projet de loi sur le mariage et l’adoption par des couples homosexuels. Je réponds donc à votre appel par cette lettre.

Avant d’en venir au sujet lui-même, permettez-moi Monseigneur de vous faire part d’un souhait qui me tient très profondément à cœur. J’aimerais vraiment beaucoup, beaucoup, que cesse cette fiction selon laquelle sur les sujets de société, tous les catholiques seraient rangés comme un seul homme, en ordre de bataille derrière les évêques.

En tant que baptisée, confirmée, fréquentant régulièrement les églises et les groupes de parole et de prière, bref catholique, je suis membre à part entière de l’Eglise. Mais je ne pense pas forcément comme vous sur tous les sujets. Aussi je vous serais immensément reconnaissante de bien vouloir vous exprimer en votre nom propre, ou bien au nom de l’ensemble des évêques de France si vous en avez reçu le mandat, mais pas au nom de l’Eglise tout entière. Car je suis lasse, et je ne suis pas la seule dans ce cas, d’être ainsi prise en otage.

L’homosexualité n’est pas une perversion

Venons-en maintenant au cœur du sujet. J’ai dit que j’étais catholique pratiquante, je dois aussi préciser que je suis mariée (avec un homme !) et mère de deux enfants suffisamment grands pour qu’aucun doute ne plane sur leur orientation clairement hétérosexuelle. Bref je n’ai pas d’intérêt particulier à soutenir tel ou tel point de vue. Je n’ai pas non plus de certitudes absolues. Je lis, je m’informe je discute avec d’autres chrétiens. Surtout j’essaie simplement de voir le monde à la lumière de l’Evangile, c’est-à-dire avec un regard qui ne juge pas (“Ne jugez pas, pour ne pas être jugés”) et un regard d’amour (“Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés”).

Tout d’abord, il me semble qu’il est aujourd’hui acquis que l’homosexualité n’est ni une maladie, ni une perversion.

Quant à savoir s’il s’agit d’un “grave désordre” comme le dit le catéchisme, je laisserai cette question de côté dans la mesure où je suis incapable de comprendre ce que l’on entend par là. Il s’agit visiblement d’une catégorie créée tout exprès pour les relations homosexuelles, qui pour moi ne sert qu’à rendre le débat plus confus. Il suffit d’écouter un peu ce que les homosexuels disent de leur vie sentimentale et de leurs désirs pour en arriver à prendre l’homosexualité pour ce qu’elle est : une des manifestations possibles (au sens de vécues réellement) de l’amour humain.

Qui sommes-nous pour juger l’amour entre deux personnes ?

Maintenant qu’en est-il du mariage? Il s’agit pour chacun des partenaires d’une union librement consentie, basée sur le respect mutuel, le don de soi, le désir d’œuvrer quotidiennement au bonheur de l’autre et de faire dépendre de lui son propre bonheur. Nous reconnaissons qu’une union fondée sur ces bases est bénie de Dieu et peut être accueillie avec joie par la communauté.
Reconnaissons aussi que tous les mariages hétérosexuels ne sont pas à la hauteur de cette définition. Nous sommes tous faillibles. Mais nous avons tous le désir de nous perfectionner. Aussi, qui sommes-nous pour juger que deux personnes de même sexe ne pourraient pas nourrir ce désir d’une union authentique ?

Eh non, ce n’est pas la porte ouverte à la polygamie, car nul ne peut prétendre se donner totalement à plusieurs personnes. Et ce n’est pas non plus la porte ouverte à l’inceste, car il faut être aveugle pour ignorer que les relations incestueuses, dans leur immense majorité, ne sont pas fondées sur le libre consentement des deux personnes.

Le principal ingrédient de l’éducation n’est-il pas l’amour ?

Il reste la question ô combien délicate des enfants. Bien sûr que pour donner naissance à un enfant, il faut un papa et une maman. Mais pour l’éduquer, que faut-il ?

J’entends bien les arguments qui disent que l’enfant a besoin de repères, de se situer dans une lignée, dans un héritage familial. J’entends mais je peine à en faire un argument qui emporte ma conviction dans le débat. Cela reste théorique pour moi. Je m’amuse d’ailleurs un peu de voir ici convoquée la psychanalyse pour défendre cette nécessité d’un père et d’une mère, alors que c’est cette même psychanalyse qui a tellement contribué à révéler combien cet héritage familial pouvait être pesant, voire délétère, sur bien des personnes !

A ce stade, je ne peux que convoquer ma propre expérience de mère (et de fille). Et là, je suis absolument certaine, que le principal ingrédient d’une éducation réussie, c’est l’amour, un amour gratuit, inconditionnel.

L’enfant ne peut grandir et devenir un adulte libre et capable d’aimer que s’il a connu la certitude d’être aimé, tel qu’il est, pour ce qu’il est, par la ou les personnes en charge de son éducation. Et là encore, nous voyons bien que tous les parents ne sont pas à la hauteur de la tâche, mais que tous essaient, dans la mesure de leurs moyens.

Une fois de plus, qui sommes-nous pour juger que deux hommes, ou deux femmes, ne seraient pas en mesure de donner à des enfants un amour de cette qualité ?

Monseigneur, nous, les chrétiens, ne détenons pas la vérité, nous la servons. Sur un sujet tel que celui-ci, avant de juger et condamner, il me semble que nous pourrions entendre les principaux intéressés. Parlons avec les couples homosexuels (il y a de nombreux homosexuels catholiques !) et disons-leur : voilà quel est le sens du mariage et de la famille, voilà quels seraient votre engagement, vos responsabilités envers votre époux ou votre épouse, envers les enfants que vous pourriez adopter ensemble. Etes-vous prêts à les assumer ? Et s’ils disent “oui”, personnellement je n’ai plus rien à dire. Qu’ils soient bénis.

Bien respectueusement.

Françoise

Source : http://leplus.nouvelobs.com/contribution/700102-mariage-gay-monseigneur-vingt-trois-tous-les-chretiens-ne-pensent-pas-comme-vous.htm