[LeMonde] Mariage gay, PMA, « théorie du genre »… Dix liens pour tout comprendre

1. La théorie du genre, c’est quoi ?

La « théorie du genre » est avant tout une invention de ses détracteurs.

Ce qui existe, ce sont les « gender studies », venues des Etats-Unis. Un champ d’études universitaires né dans les années 1960, en parallèle du développement du féminisme. Son propos : étudier la manière dont la société associe des rôles à chaque sexe. Exemples : « pourquoi les hommes font moins le ménage », « pourquoi une femme mécanicienne ou un homme sage-femme paraissent insolites », etc.

L’un des postulats de ces études était de distinguer le « genre », la construction sociale (les filles aiment le rose, les garçons le bleu) du sexe physique. D’où le recours croissant à l’utilisation du terme « genre », par exemple pour dénoncer les « stéréotypes de genre ».

Ce qui n’existe pas : Mais il n’y a pas de « théorie » au sens idéologique ou scientifique du terme, pas de programme secret ou caché visant à « manipuler » les enfants.

2. Pourquoi dit-on qu’elle est « enseignée dans les écoles » ?

La dénonciation des dangers de la « théorie du genre » n’est pas neuve : dès 2011, la sphère catholique traditionaliste partait en guerre contre l’introduction de cette notion de « genres » dans les manuels de Sciences de la vie et de la Terre (SVT) de première. En réalité, ce fantasme d’une « idéologie du genre » est venu des Etats-Unis et des groupes ultraconservateurs, qui ont inspiré leurs homologues en Europe. En réalité, la loi prévoit l’enseignement de l’égalité homme-femme à l’école depuis 1989, et des cours d’éducation sexuelle sont prévus à l’école depuis une loi de 2001.

On n’enseigne donc aucune « théorie du genre » dans les écoles, même si des réflexions sont menées autour des questions d’égalité homme-femme par nombre d’acteurs, dont les syndicats. Les « anti » citent ainsi régulièrement une étude du syndicat Snuipp sur la question, en général sans préciser qu’il s’agit d’une réflexion syndicale et pas du programme officiel.

3. Qu’est ce que les « ABCD de l’égalité » ?

C’est la nouveauté de l’année 2013 : l’éducation nationale teste, dans 600 classes de 275 écoles, de la maternelle au CM2, des séquences pédagogiques sur les questions d’égalité homme-femme, les « ABCD de l’égalité ». Ils ne parlent pas de sexualité et donc encore moins d’homosexualité. Ils consistent en des séries d’exercices et d’activités destinés à interroger sur les rôles masculin et féminin en société : pourquoi les filles jouent à la poupée et les garçons au ballon, etc.

4. Et la « ligne Azur », de quoi s’agit-il ?

Autre institution mise en cause : « Ligne Azur », filiale de Sida info service, qui existe depuis plus de dix ans, en tant que ligne téléphonique d’écoute pour personnes souffrant de doutes sur leur sexualité. Suite au constat alarmant d’un taux de suicide bien plus élevé chez les jeunes homosexuels, un partenariat a été mis en place avec l’éducation nationale, qui affiche le numéro de « Ligne Azur » dans les collèges et lycées.

Cette ligne a été prise pour cible par les « anti-gender » et notamment par le groupuscule d’extrême-droite « Egalité et réconciliation » d’Alain Soral, très en pointe sur le sujet. Leurs attaques, fausses ou très déformées, ont trouvé un relais en la personne du polémiste Eric Zemmour, qui a estimé que c’était là « la preuve de l’enseignement de la théorie du genre ». En réalité, Ligne Azur ne fait pas d’interventions scolaires, et existe pour prévenir des suicides d’adolescents.

5. Une sénatrice a-t-elle dit que les enfants appartenaient à l’Etat ?

Autre désinformation très répandue, au point de servir dans de très nombreux tracts et documents des « anti » : une citation attribuée à la sénatrice PS Laurence Rossignol, qui aurait supposément dit : « les enfants n’appartiennent pas à leurs parents, ils appartiennent à l’Etat ». Problème, qui illustre bien la méthode employée par les « anti » : cette citation était tout simplement fausse.

La sénatrice a uniquement déclaré : « les enfants n’appartiennent pas à leurs parents ». Ce qui est exact : Toute société, quelles qu’en soient les manières, les coutumes ou les institutions, prend soin d’un enfant quand ses parents meurent, le maltraitent ou sont incapables de s’en occuper.

6. La masturbation est-elle enseignée à l’école ?

On pourrait multiplier les exemples d’intox et de déformations, petites et grandes, tant le climat d’hystérie a été entretenu durant des mois : enseignement de la masturbation dès la maternelle, projet d’interdire la scolarisation à domicile pour mieux endoctriner au « gender », utilisation de « sextoys » dès l’école primaire…

Rien de tout cela n’est vrai, évidemment. Mais ces accusations outrancières sont symptomatiques de la volonté de certains militants de créer une atmosphère propice à la panique. Une opération en partie réussie, puisque des centaines de parents ont fini par retirer les enfants des écoles sur la foi de ces rumeurs.

On peut d’ailleurs trouver un schéma commun à la propagation de toutes ces intox : systématiquement, on trouve une occurence du terme incriminé dans un rapport plus ou moins officiel, une publication d’une institution proche de l’éducation nationale ou de l’un des syndicats d’enseignants. Ce terme est ensuite sorti de son contexte et ce qu’il désigne est fantasmé comme faisant partie intégrante des programmes de l’éducation nationale.

Si l’on prend l’exemple de la masturbation – qui, précisons-le n’a jamais fait partie du programme de maternelle -, le terme est employé dans un rapport de la branche européenne de l’OMS datant de 2010. Il y est expliqué qu’une forme d’autosexualité existe dès le plus jeune âge et qu’il conviendrait d’en informer les enfants qui en font la demande tout en gardant en tête  « qu’il est faux d’analyser les comportements sexuels des enfants et des jeunes du point de vue de la sexualité des adultes ». Ce qui se traduit chez les anti-gender par : « l’OMS enjoint aux écoles et crèches d’“encourager la masturbation enfantine” ».

7. Les livres pour enfants font-il la promotion du « gender » ?

Mais la panique autour de la « théorie du genre » n’a pas été entretenue uniquement par des militants d’extrême-droite. L’UMP a aussi été tentée de se greffer sur le mouvement. C’est ainsi que Jean-François Copé a dénoncé un livre pour enfants, « Tous à poil », assurant qu’il était au programme en primaire.

Là encore, l’essentiel des accusations de M. Copé se sont révélées infondées : ce livre n’est pas au programme, mais a été listé par des parents d’élèves dans le cadre d’une bibliographie d’ouvrages, proposée dans quelques documents pédagogiques.

8. Des initiatives qui datent

En creusant un peu, on s’aperçoit assez rapidement que les questions de genre n’ont pas attendu l’année 2013 pour faire leur entrée à l’école, et la plupart des initiatives dénoncées par les « anti-gender » ont déjà plusieurs années.

Ainsi, le partenariat entre « Ligne Azur » et l’éducation nationale date de 2009, et a été renouvelé chaque année, de même que les recommandations aux recteurs d’être attentifs aux questions d’égalité homme-femme. Plus ironique : en 2011, dans le cadre de la préparation de son programme, l’UMP avait consacré un séminaire entier aux « questions de genre » et prévoyait d’évoquer cette question dès la maternelle.

9. Mais qui diffuse ces rumeurs ?

En 2011 déjà, quelques groupuscules ultra-catholiques avaient lancé l’offensive contre la présence de la « théorie du genre » dans les manuels de SVT de première. Le gouvernement avait dû réagir. Trois ans plus tard, ces associations, galvanisées par une année 2013 d’opposition au mariage gay, sont reparties au combat.

Elles ne sont pas seules : l’extrême-droite a également utilisé ses réseaux, autour par exemple de « Egalité et réconciliation » d’Alain Soral, allié pour la circonstance à une ancienne figure de la lutte des « beurs » des années 1980 : Farida Belghoul. Son influence s’est fait sentir notamment sur les quartiers populaires où ont eu lieu la majorité des retraits d’enfants des écoles.

Par Samuel Laurent
Responsable des Décodeurs – Vérifications, contexte, données.