Ils sont homos et cathos, pour le meilleur et pour le pire

Une chose est sûre, au rayon « l’Eglise se lève contre le mariage homo », on est pas près de voir se tarir le stock de déclarations médiatiques de tous bords, d’ici le vote annoncé par le gouvernement pour le printemps.

Entre deux salves, si on déplaçait un peu le curseur, en allant voir ce que vivent les catholiques homosexuels ? Pas vraiment étonnés par la prière du 15 août, ils vivent depuis des années dans cette Eglise qui oscille entre accueil et rejet. Et font avec.

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Adrien, l’ancien séminariste

 

Avant de l’entendre nous raconter son histoire, on avait déjà imaginé le parcours d’Adrien, 36 ans. Celui d’un jeune catho, prêt à tout larguer pour Dieu, jusqu’à ce que… son homosexualité le rattrape.

Dans notre histoire, il aurait pu se sentir rejeté, anormal, se serait réveillé après des années de refoulement. On avait tout faux.

« Quand je suis entré au séminaire, l’homosexualité n’était pas une question insoluble pour moi. De toute façon, je me destinais à la prêtrise, donc à une vie de célibat. Que je sois hétéro ou homo ne changeait pas vraiment la donne. »

Né dans une famille pas vraiment grenouille de bénitier, d’une mère biberonnée au communisme et d’un père catho par convention, le jeune homme s’échine davantage à faire avaler la pilule du « ton fils deviendra prêtre » que celle du « fils homo ».

Pourtant, une fois entré au séminaire, le rêve d’Adrien s’écroule :

« J’ai eu un choc, en découvrant une Eglise faite de luttes de pouvoir, d’ambitions personnelles, à mille lieues de celle que je venais trouver. »

« On naviguait dans un culture du non-dit »

Et le jeune homme tombe vite sur un deuxième os :

« Autour de moi, je trouvais des personnes en crise d’identité, en fuite sur les questionnements existentiels, ceux en rapport avec la sexualité, mais pas seulement.

Au séminaire, on ne les poussait pas à faire la vérité sur ce qu’ils étaient, on naviguait dans une culture du non-dit, avec une formation très intellectuelle, sans accompagnement concret sur la future vie de prêtre. »

Côté sexe, c’est le flou artistique :

« Nous avions une session affective, extrêmement nébuleuse, où s’additionnaient les généralités. L’homosexualité ? Oui, on nous disait que ça existait. Puis on passait à la suite. Ceux qui voulaient s’ouvrir un peu plus, on leur disait : tu as un père spirituel [tenu au secret, ndlr] parle en avec lui.

Ce système est terriblement infantilisant et hypocrite. Ses dégâts, je les ai vus chez certains de mes amis prêtres qui ont fait profil bas des années, et sont aujourd’hui en grande souffrance. »

« Chez les moines trappistes, on me demandait d’être vrai »

Depuis 2005, Rome interdit officiellement l’entrée au séminaire des personnes homosexuelles. Comble de l’hypocrisie instituée, elle n’aurait fait que renforcer cette culture du non-dit et du mensonge, selon l’ex-séminariste.

Mais cette expérience ne va pas refroidir la foi d’Adrien, qui se tourne alors vers la vie monastique, centrée sur la prière, et poursuit son séminaire chez les trappistes.

« Bizarrement, alors qu’on se dit que les moines sont déconnectés de la réalité, j’ai trouvé un lieu où pour la première fois, on me demandait d’être vrai.

Je me suis confié à deux moines au sujet de mon homosexualité, ils m’ont répondu que surtout, il fallait que j’en parle si j’en avais besoin. Jamais on ne m’a dit de me taire, ni que j’étais anormal. »

Quelques années plus tard, il quitte finalement l’habit monastique. Pas à cause de son homosexualité, mais tout simplement parce qu’il ne se sentait pas « appelé à devenir moine », dont la vie a des aspects extrêmement austères.

Dans la prière du 15 août de Mgr Jean Vingt-Trois, il ne s’étonne pas de retrouver cette Eglise « terriblement humaine », faite d’ambitions politiques, de désir de reconquête. Mais pas de quoi mettre en doute sa foi.

« Il y a beaucoup de chemins différents dans l’Eglise. Ma foi, ce n’est pas Benoît XVI qui me la dicte. C’est l’Evangile. »

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Emmanuel, réfugié dans l’Eglise

 

L’homophobie, Emmanuel, 42 ans, se l’est prise très tôt en pleine poire. Et pas chez les curés.

« A 9 ans, j’étais la tapette de l’école. C’étaient des attaques irrationnelles de gamins, mais difficiles à vivre. »

Paradoxalement, à l’adolescence, alors qu’il vit très mal le fait d’être attiré par les garçons, il trouve son réconfort… dans l’Eglise.

« C’était pour moi un lieu de refuge et de paix. La grande majorité des prêtres à qui je me suis confié m’ont ouvert les bras. Aujourd’hui, j’ai un père spirituel jésuite, qui m’aide à cheminer. Je suis en recherche de ma vocation. »

A la recherche d’une sexualité « complète »

Mais au cœur de sa quête, il semble rester un malaise. Quand il se raconte, Emmanuel utilise les mots « handicap », « manque ».

« Dans l’amour homosexuel, j’ai l’impression que la sexualité est incomplète, qu’il n’y a pas d’altérité, contrairement aux relations hétéros, qui biologiquement sont fécondes. Ce qui ne veut pas dire que sur d’autres plans, un amour homosexuel n’est pas complet.

Je travaille à trouver quelle forme d’amour je peux vivre pour avoir une relation vraiment féconde. Peut-être est-ce dans une relation fidèle d’amour-amitié, qui tendrait vers la continence ? Je ne sais pas encore. »

Pour l’Eglise, les homos « ferment l’acte sexuel à la vie »

Dans son catéchisme, l’Eglise indique, à propos des actes homosexuels :

« Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable […] Mais les personnes doivent être accueillies avec respect, compassion et délicatesse. »

Jusqu’ici, Emmanuel navigue, entre l’enseignement de l’Eglise et son propre chemin.

« Il me semble que l’Eglise ne connaît pas assez l’homosexualité et ses différentes facettes, elle devrait davantage l’étudier pour y répondre de façon juste et pouvoir accueillir les homos. Quand je vois un cardinal confondre homosexualité et pédophilie, je me dis qu’il y a encore du boulot !

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Jean-Michel et François, le couple (de) fidèles

 Jean-Michel et François, la cinquantaine, sont en couple depuis bientôt trente ans. Dommage pour une partie de l’Eglise, qui fustige les homos pour leur sexualité « zapping ». Cathos convaincus et pratiquants, ils partagent une foi sincère et forte. Mais ne se trimballent pas les mêmes bagages.

Jean-Michel, lui, a toujours su qu’il était homo, et ne l’a jamais mal vécu. Dans sa famille, catho mais pas trop, cela n’a jamais posé de problème. Comme 96% des chrétiens homos, il ne relie pas sa foi à l’institution.

« Je me sens pleinement appartenir à l’Eglise, mais je me fiche comme d’une guigne de ce que dit la hiérarchie. Si elle ne nous accepte pas, ce n’est pas ma responsabilité. »

Pour François, c’est une toute autre histoire. D’une famille bourgeoise bien comme il faut, catholique très pratiquante, il a longtemps mal vécu son homosexualité. Jeune, il a même été jusqu’à voir un psy… Pour « changer ».

« Je risquais de “contaminer” mon neveu »

Et quand il s’assume enfin, beaucoup de ses proches catholiques lui claquent la porte au nez :

« Je ne pouvais même plus voir mon neveu, parce que je risquais de le “contaminer”. On me disait, toi on t’accepte, mais pas ce que tu fais. »

Ebranlé au plus profond de sa foi, François mettra du temps à retrouver sa place dans cette Eglise, où il se sent toujours mal.

« Je suis toujours dans l’ambivalence par rapport à l’Eglise. De mon éducation, il me reste cette volonté de respecter le pape, la hiérarchie, de l’écouter. »

« Entendre les cloches sonner et devoir rester seul »

Le 15 août, François s’est rendu à la messe, mais est sorti au moment de la prière. Pour ne pas cautionner « ça ». Même si au final, cette prière ne l’a pas choqué plus que cela, à part « la phrase en question », comme il le raconte.

Jean-Michel, lui, a refusé en bloc de s’y rendre. C’était la première fois qu’il loupait une messe du 15 août. Outré, il a même écrit une lettre à l’évêque de son diocèse, où l’on peut lire :

« Ce fut un moment pénible à vivre que d’entendre les cloches appeler à l’office et me condamner à rester seul. »

source:http://blogs.rue89.com/religion/2012/08/25/ils-sont-homos-et-cathos-pour-le-meilleur-et-pour-le-pire-228216