Ce que révèle l’alliance de certains musulmans avec la droite réactionnaire

Lors des protestations contre le mariage pour tous et l’apprentissage de l’égalité à l’école, nous assistons à une cristallisation visible de la conjonction entre des personnes et groupes se revendiquant de l’islam, de chrétiens conservateurs, voire intégristes, et de l’extrême droite.

Cette alliance étonne dans la mesure où l’extrême droite, dans son recyclage des vieilles idées xénophobes et dans sa crispation sur l’identité nationale, cible les musulmans en France comme la source d’une menace identitaire. Comment se fait-il alors qu’elle partage le même camp que certains musulmans dans la défense de valeurs familiales qui sauveraient la société française de la perversion et de la décadence découlant, selon eux, de l’égalité des sexes, du mariage pour tous et de la lutte contre l’homophobie ? Comment analyser ce paradoxe ?

Que nous apprend-il sur les enjeux politiques, sociaux et culturels des rapports de force engagés dans ces contestations ? Soulignons tout d’abord qu’il existe une alliance historique entre tous les extrémismes religieux face à l’égalité des sexes, que ce soit au niveau international, européen ou français.

NÉGATION DES DROITS DES FEMMES

Dans toutes les conférences internationales sur les droits des femmes, ils font opposition commune à l’égalité et à la liberté sexuelle au prétexte de la préservation du respect de l’identité culturelle et cultuelle.

Leur proposition – commune elle aussi – porte sur le remplacement du concept d’égalité des sexes par celui de leur complémentarité, désignée par équité.

Or, leur fameuse complémentarité se décline dans la négation des droits des femmes à maîtriser leur corps et leur sexualité, et dans la négation de l’application des droits communs aux personnes homosexuelles. Une prétendue préservation de la famille justifie ainsi les discriminations, les violences et la domination masculine. La liberté sexuelle s’en trouve diabolisée comme source de décadence.

L’alternative des extrêmes pour sauver la famille et la société se résume alors à un retour de l’ordre moral répressif fondé sur un modèle identitaire uniformisé pour l’ensemble des individus. La hiérarchie des sexes est la colonne vertébrale qui donne corps à ce modèle fantasmé bien dépassé par l’évolution de la société actuelle.

C’est cette dimension qui explique par la suite l’alliance paradoxale de l’extrême droite avec ceux qui préconisent le recours à l’islam comme mesure des lois et des règles civiles (tendance qui prospère sous l’influence de l’islamisme, tout comme l’extrême droite déteint sur certaines tendances de droite). Ils se rapprochent ainsi dans la projection d’un ordre moral fantasmé, quand bien même les avancées démocratiques en marquent la fin au profit de la reconnaissance de l’égalité des droits et de l’autonomie individuelle.

PLURALITÉ DE MODÈLES FAMILIAUX

Loin d’entraîner la dislocation des familles, l’éthique démocratique permet l’épanouissement d’une pluralité de modèles familiaux et le remplacement des liens patriarcaux par des liens fondés sur le respect mutuel, la communication et la participation égalitaire. Ce modèle va à l’encontre de l’ordre autoritaire rêvé par les extrêmes, qui prônent une identité imposée à tous au nom de la patrie, de la religion, des traditions…

En tant que cellule de base de la communauté ou de la société, la famille est par excellence le lieu de projection de cette identité, et ce d’autant plus que, dans la famille, s’exprime l’affectif et se transmettent des codes culturels, des lois et des repères sociaux. Il n’est donc ni étonnant ni fortuit que les propagandes extrémistes visent les familles. Une triple confusion fonde leurs discours démagogiques.

La confusion entre l’égalité et l’identité veut convaincre que l’égalité des sexes uniformise l’identité sexuelle, alors qu’elle est, en réalité, la garante de l’autonomie des individus et de leur liberté. Le fantasme de l’uniformisation identitaire est, en revanche, porté et propagé par les adversaires de l’égalité.

La confusion entre la liberté sexuelle et la marchandisation de la sexualité vise à diaboliser cette liberté comme cause de la perversion des rapports de sexe et de la prostitution. Or, la reconnaissance de la liberté sexuelle permet une éducation en faveur de la responsabilisation des individus, contre les violences sexuelles et pour le respect de l’intégrité de soi et de l’autre.

La confusion entre l’autorité et la domination cherche à diaboliser la démocratie, l’exercice parental égalitaire, l’école publique et laïque. Les adversaires de l’égalité dénoncent la disparition de l’autorité des parents et des maîtres afin de promouvoir le retour à un ordre anti-démocratique.

TRANSFORMATION DE LA NOTION D’AUTORITÉ

En réalité, l’évolution sociétale engage une transformation de la notion d’autorité : d’une autorité basée sur la domination et la soumission à une autorité fondée sur la communication et la négociation dans le respect des droits, notamment ceux des enfants.

Il reste à s’interroger sur la portée de ces confusions auprès des parents. Sans exagérer le succès de cette propagande démagogique, cette interrogation doit permettre de se pencher sur les enjeux importants que lance l’évolution démocratique en cours.

Dans un contexte de crise économique et sociale qui fragilise les individus, l’ordre autoritaire proposé par les mouvements identitaires peut séduire et leurs ressources de propagande ne manquent pas. En face, les moyens pédagogiques pour la prise de conscience par les individus de l’intérêt que représentent ces changements de mentalité pour la société, les familles et les enfants, ne sont pas du tout à la hauteur.

Chahla Chafiq (Ecrivaine, sociologue )

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