Alors que les violences homophobes explosent en France, Frigide Barjot et sa “Manif pour tous” nient toute responsabilité…

Il faut bien le dire, quand la photo a commencé à faire le tour des réseaux sociaux dès dimanche après-midi, ma réaction oscilla entre l’horreur et la précaution. Je parle de la photo de Wilfred de Bruijn, qui, publiée sur Facebook, circule alors comme une traînée de poudre. On y voit un visage déformé par les coups, rougi par les hématomes. Derrière la violence du portrait, celle des agresseurs que l’on imagine sans peine.

Le commentaire, lui, ne fait que confirmer ce que l’on pressent :

Désolé de vous montrer ça. C’est le visage de l’homophobie.”

Et Wilfred d’expliquer que c’est parce qu’il marchait “bras dessus, bras dessous” avec son compagnon qu’il a subi les assauts sauvages de primates décérébrés.

Acte militant

Très vite, la précaution fut de mise. Ne serait-ce que parce qu’aucune source officielle ne venait corroborer le témoignage. Mais parce que l’on doit, aussi, se rappeler aussi de sordides récits, comme celui de cette femme dont le corps avait été tatoué au feutre-marqueur de croix gammées dans le RER D, qui s’était avéré pure affabulation.

Sauf que, dans la journée, Wilfred, contacté par la presse, a pu faire le récit détaillé de ce qu’il convient de considérer comme un gay bashing des plus barbares :

“On sortait d’un dîner arrosé avec des amis. On marchait bras dessus, bras dessous vers le métro Ourcq. Pas de ‘façon homo’. On avait passé une très bonne soirée, on en parlait. Un peu fort peut-être. Là, j’ai entendu : ‘Ah des homosexuels !’ Je me suis pris un premier coup dans les yeux. Je me suis protégé, mais en tout, je me suis pris six coups. […] Ça a été une déferlante de haine. Très violente. J’ai vu mon compagnon à terre, sa tête était devenu un ballon de football, j’ai hurlé ‘Dégagez !’, ils sont partis en courant.”

Une plainte a été, entre temps, déposée au parquet. Le couple dit avoir hésité avant de publié la photo et de relater l’événement. Mais cela relevait pour eux d’un acte militant :

“C’est une agression homophobe, comme tant d’autres, un banal fait divers, et puis c’est un peu de mauvais goût de mettre ça sur Facebook. Mais en même temps, il fallait que ce soit vu.”

Victimes collatérales

La nuance et la pondération des propos du couple amènent chacun à bien poser le problème : contrairement à la menace de mort dont a été victime le sénateur Christophe-André Fressa, vraisemblablement contraint à changer son vote, à la mise en pâture des données personnelles de Chantal Jouanno, incluant l’identité de ses enfants, ou encore au vandalisme dont a été victime le Printemps des associations LGBT, ce crime homophobe n’est pas directement lié aux dérives du débat sur le mariage pour tous.

En d’autres termes, les opposants qui ont clairement décidé de se radicaliser n’ont pas, par un tel acte, envoyé un nouveau message pour montrer leur détermination.

Pour autant, il faudrait être sourd, aveugle ou sacrément de mauvaise foi pour refuser d’admettre que Wilfred et Olivier sont des victimes collatérales de ce pourrissement de la folle lutte des opposants.

Et il ne faudrait pas seulement voir dans cet insupportable forfait la simple application de l’appel du GUD de Nancy qui appelait quelques jours auparavant à la bastonnade des homosexuels. Le mal est beaucoup plus profond.

Bouclier “anti-homophobie”

L’image du visage tuméfié de Wilfred de Brujin a fait le tour du web : après avoir subi une agression à caractère homophobe le 7 avril, il a publié sur Facebook cette photo attestant de la violence des coups qu’il a reçus.

Pendant des semaines, les opposants n’ont eu de cesse de commencer leur diatribes ou homélies en commençant systématiquement par se munir d’un bouclier “anti-homophobie”. Frigide Barjot n’aura de cesse de le faire sur les plateaux télé. Ce sera le cas aussi d’Ivan Rioufiol face à Caroline Fourest, qui s’amuse de la posture victimaire de l’éditorialiste alors même que le débat n’a pas commencé (et dans une justification intéressante puisqu’il amalgame “homophobie” et “islamophobie“, comme pour coupler ses lubies).

Même Alain Escada de l’institut intégriste Civitas cèdera à la tentation. Dans une réunion publique tenue à La Madeleine le 18 octobre 2012, du côté de Lille, il aura cette phrase pour le moins surprenante en conclusion de son discours :

“Il n’est pas question d’être méprisant à l’égard des homosexuels.”

Dérives obscurantistes

Pour autant il fut le premier à craquer, puisque dans la même réunion, il parla de l’homosexualité en évoquant “un droit qui déroge à la norme humaine”, “des exigences contraires au simple bon sens” qui “défigureraient la nature de la famille”, des “individus homosexuels” et leur “comportement déviant”.

Mais le bouquet fut prononcé le lendemain de la première manif, quand Escada constata amèrement qu’il venait de se faire souffler le premier rôle par la “fofolle de Dieu” et qu’il devait la doubler par l’obscurantisme : en marge de son défilé, il déclara que l’homosexualité était un “mauvais penchant qui nécessite d’être corrigé et une personne qui a de tels penchants devrait être abstinente”.

Il ne fut pas le seul à dériver graveleusement. Frigide Barjot a beau s’attribuer un “brevet d’homophilie” dans son livre, “Touche pas à mon sexe“, retiré de la vente depuis, qui est à l’essai ce que sa chanson “Fais-moi l’amour avec deux doigts” est au chant lyrique, elle n’en a pas moins pris à son compte la prose de Philippe Arino :

“L’homosexuel est une personne souvent blessée, à la sexualité souvent immature, qui se transforme alors en sexualité boulimique avec une infidélité quasi-consubstantielle : il suffit pour s’en convaincre de lire la presse homosexuelle, où le sexe est omniprésent, de connaître un tant soit peu ce monde pour s’en rendre compte…”

Alors bien évidemment, on peut se draper des oripeaux des bonnes intentions, déclarer son amour pour les homosexuels (tout en leur refusant les droits des autres, allez comprendre), condamner les insultes homophobes, on peut malgré tout contribuer à faire progresser l’homophobie.

Des cicatrices comme preuve de résistance

Dans son livre, Frigide Barjot se réjouissait que les intentions favorables pour l’adoption aient “chu […] dès lors que la parole est libérée”. Une parole tellement libérée que, dans le même temps, les actes homophobes ont explosé de 200% dans la même période. Et la tendance est à l’exponentiel, comme l’explique Elisabeth Ronzier, de SOS Homophobie :

“Entre le 1er janvier et début mars, il y a eu autant d’actes homophobes que ceux recensés en six mois l’an dernier.”

La preuve est faite en image, avec l’odieuse agression dont ont été victimes Wilfred et Olivier, que ce débat, que les opposants continuent pourtant de nier, ne contribuent nullement à éclairer les Français. Tout est organisé pour pourrir la situation et pour que le chemin législatif s’étouffe devant l’acharnement manifesté.

Alors on ne peut que s’incliner devant le courage de Wilfred et Olivier pour avoir mis en image et médiatisé le massacre de leur corps. Leurs cicatrices, aussi impudiques peuvent elles paraître, dérangent, choquent, indisposent : elles sont donc autant de preuves qui démontrent avec force que la République résiste.

Et il n’est de meilleurs allié pour cette République vacillante aux coups de boutoirs de ses fossoyeurs que le citoyen, quand le courage et la témérité le guident. Au-delà de la honte et de la souffrance. Chapeau bas les gars.

Par Yves Delahaie
Illustration de : nawak-illustration.fr