Abolir l’homophobie en Tunisie, « c’est aussi se conformer à la religion et au respect des valeurs de laquelle renvoie la constitution »

A l’occasion d’une visite officielle en Tunisie d’Antonio Tajani, président du Parlement européen, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) tiendra, lundi 30 octobre, une « séance plénière extraordinaire ».

« De telles vaines solennités » sont-elle suffisantes pour « honorer le président d’une instance ayant réclamé des actes législatifs salutaires pour la démocratie que le Parlement Tunisien se refuse encore à prendre ? », s’interroge Farhat Othman, juriste, politiste tunisien, appelant « associations et militants humanistes contre l’homophobie » à saisir l’opportunité et se mobiliser pour agir « à bon escient ».

Rappelons en effet que, dans sa résolution du 14 septembre 2016, le parlement de Strasbourg a solennellement appelé la Tunisie à conformer sa législation aux standards internationaux, notamment en abrogeant « l’article 230 du Code pénal » qui sanctionne l’homosexualité par une peine d’emprisonnement de trois ans.

Cette « législation héritée de la dictature, et qui remonte même au protectorat, restée en l’état à ce jour, presque sept ans après la révolution », sert de « base légale de l’homophobie et justificatif du moyenâgeux test anal », s’indigne M. Othman, déplorant « une pratique toujours en usage chez les juges, qu’ils n’imposent certes plus, mais dont le refus est pour eux une présomption de sûre culpabilité ».

Aussi, « la Tunisie doit au plus vite en finir avec de telles scélératesses légales, ce à quoi a eu l’honneur d’appeler l’Assemblée présidée par l’hôte de la Tunisie dans sa fameuse résolution », insiste l’ancien diplomate.

« Un tel hommage sera concret et sérieux si le président de notre Parlement s’engage, lors de cette journée voulue historique, à réaliser à court terme l’entreprise incontournable de la réforme de l’arsenal scélérat du pays », qui « brime toujours, dans sa vie privée, notre peuple, surtout la jeunesse, artisan de la révolution, tout en contrariant le vivre-ensemble paisible qu’impose la transition démocratique ».

« Outre le respect de la constitution qui consacre le droit d’une partie de nos concitoyens à vivre paisiblement leur nature voulue en eux par leur créateur, abolir l’homophobie en Tunisie, c’est aussi se conformer à la religion et au respect des valeurs de laquelle renvoie d’ailleurs la constitution », poursuit M. Othman.

Si l’« on ne peut taire la mention de la religion », ce qui empêche aujourd’hui la Tunisie de sortir, de sa « nuit homophobe », regrette-t-il, ce ne sont pas « les intégristes » mais « le laïcisme de nos militants anti-homophobie ». « C’est sur eux que comptent les religieux pour justifier leur refus de légaliser l’homosexualité en prétendant qu’elle est contraire aux valeurs islamiques consacrées par la constitution. »

Et c’est un « argument massue » auquel les Occidentaux ne peuvent rien rétorquer, « sauf si on leur précise que c’est faux et que l’islam n’a jamais été homophobe », « aucune prescription dans le Coran ne prohibant l’homosexualité et nul dire du prophète non plus », ajoute-t-il.

Bien-sur, « le Fikh traditionnel » (interprétation temporelle des règles de la charia), « celui-là même qui permet à Daech de justifier ses crimes, considère l’homosexualité comme crime. Mais c’est sur la base d’un effort obsolète de jurisconsultes musulmans n’ayant pas fait une exégèse correcte du Coran et de la sunna. C’étaient des jurisconsultes musulmans influencés par la Bible, qui ont créé de toutes pièces le crime d’homosexualité. Ils étaient tous d’origine non arabe, ayant l’imaginaire et l’inconscient influencés par la tradition judéo-chrétienne, la Bible interdisant l’homophobie, contrairement au Coran », explique-t-il, s’appuyant sur l’érudit et savant musulman, Ibn Khaldoun (1332-1406), historien de l’Islam médiéval.

Par conséquent, « abolir aujourd’hui l’homophobie, c’est rendre justice à l’islam défiguré par les siens. C’est aussi agir dans le sens de la concrétisation de la dignité et de la souveraineté du Tunisien, visée majeure de sa révolution, cette loi étant non seulement un héritage de la dictature, mais aussi du protectorat. Son abolition parachèvera ainsi l’indépendance de la Tunisie ».

C’est « bien le moment d’agir », argue-t-il, « le moment pour un acte majeur de souveraineté nationale et de reconnaissance des droits et libertés populaires, l’homosexuel étant devenu le symbole du différent, étant le différent absolu ».

Il exhorte « la société civile à déclarer la guerre à l’homophobie et au scélérat article 230 du Code pénal », et invite les députés tunisiens à saisir M. Tajani, « président d’un modèle de gouvernance parlementaire », pour enfin s’engager « dans le sens de l’histoire, celui d’un vivre-ensemble paisible, respectueux de la différence. » « Cela commence par la reconnaissance de leurs droits aux gays, figure emblématique du différent. Reconnaître leurs droits, c’est faire un pas de géant dans le sens de l’État de droit, rompant avec l’état de semi droit actuel. »

Ainsi, « attendu que l’homophobie est contraire aux droits de l’Homme et au vivre-ensemble paisible, à la base de la démocratie; que l’orientation sexuelle relève de la vie privée que respectent et l’État de droit tunisien et l’islam; et que l’article 230 du Code pénal viole la religion musulmane qui n’est pas homophobe étant respectueuse de la vie privée de ses fidèles qu’elle protège », Farhat Othman réitère son appel à soutenir ce projet de loi pour que l’Assemblée des Représentants du Peuple libère « sans plus tarder la Tunisie de l’homophobie coloniale ».

Issu de la société civile, le texte a « de fortes chances de rallier une majorité de votes en sa faveur eu égard à son caractère consensuel », même si radical, s’il arrive à être repris par dix députés. « N’existe-t-il donc pas dix humanistes à l’assemblée pour sauver l’honneur de leur patrie ? », lance l’auteur, rappelant enfin que « les bonnes mœurs et la pudeur ne se protègent le mieux que par le bon exemple à donner dans un environnement de libertés et non de contraintes » :

« C’est l’interdit qui crée les refoulements avec leur retour dévastateur, en plus d’encourager la simulation et la dissimulation, ce jeu du je si prisé en Tunisie, le peuple étant obligé de se montrer hypocrite par peur de la loi tout en la violant en cachette à qui mieux mieux. »

Aussi, « invitons-nous le président du Parlement tunisien pour la plénière solennelle de lundi prochain à souhaiter la bienvenue à son hôte par la déclaration urbi et orbi de l’engagement de l’Assemblée qu’il préside à toiletter le droit tunisien de ses tares ignobles, en commençant par celles faisant de l’amour et du sexe un crime. »

A noter que la Tunisie a rejeté 14 recommandations relatives à la dépénalisation des « relations homosexuelles », lors de son Examen Périodique Universel devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le 21 septembre dernier, s’engageant toutefois à cesser les examens anaux et garantir la protection des LGBTQI.

Terrence Khatchadourian
STOP homophobie.