Elections départementales : Le politologue Gaël Brustier analyse la stratégie de la manif pour tous

Un an après s’être investie dans la campagne des élections municipales, la Manif pour tous remet le couvert. Le mouvement de défense de la «famille traditionnelle», né en opposition à la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels, présentait ce jeudi matin sa stratégie pour le prochain scrutin départemental, prévu les 22 et 29 mars. Au cœur de sa stratégie, une charte d’adhésion à ses valeurs, que les candidats sont invités à signer pour recevoir l’onction du mouvement conservateur. Le politologue Gaël Brustier, auteur de le Mai 68 conservateur. Que restera-t-il de la Manif pour tous ? (Editions du Cerf), décrit son influence.

Quel est l’héritage de la Manif pour tous ?

La mobilisation contre le mariage homosexuel a donné naissance à un mouvement conservateur, dont une des stratégies consiste à prendre à témoin les candidats au moment des élections, notamment par le biais de chartes. Ça a déjà été le cas lors du scrutin municipal du printemps 2014, notamment à Angers, où des cadres conservateurs ont intégré le conseil municipal. Ce qui s’est manifesté lors du festival les Accroche-Cœurs par la censure d’un spectacle, sous pression d’intégristes musulmans et catholiques.

Cette prise à témoin va se répéter lors des élections départementales. Pourquoi intéressent-elles la Manif pour tous ?

Ce n’est pas étonnant qu’elle s’investisse dans cette campagne. Les compétences des conseils généraux (aide à l’enfance, handicap, planification familiale…) entrent dans ses radars. Son objectif est de porter sa vision conservatrice du monde, par exemple sur des thèmes comme l’adoption ou l’IVG. L’écologie humaine, telle qu’elle est portée par ce mouvement, est en contradiction flagrante avec les valeurs défendues par les travailleurs sociaux qui œuvrent dans le domaine de la planification familiale, par exemple.

La Manif pour tous a-t-elle rempli un vide politique ?

Elle bénéficie des difficultés de recrutement de cadres dans les partis politiques traditionnels. Ses militants les plus impliqués vont à Sens commun [le mouvement issu de la Manif pour tous au sein de l’UMP, ndlr], les autres lisent les publications comme le Salon beige, les Nouvelles de France. Mais la Manif pour tous affiche surtout une dimension très locale. Elle a permis à des gens d’entrer dans le militantisme politique. Ils se sentent très investis par la diffusion de ces idées dans leur champ de compétences. En revanche, les têtes d’affiche nationales, Ludovine de la Rochère ou Tugdual Derville, ne sont pas faits pour les élections. Ils sont investis dans la société civile, mais pas taillés pour la vie politique partisane classique.

Ce mouvement pèse-t-il réellement ou s’est-il essoufflé ?

Incontestablement, la Manif pour tous a une influence, d’ailleurs plus sur l’UMP que le FN, dont l’électorat est relativement moins conservateur. On a vu ce que ce poids pouvait faire dire à Nicolas Sarkozy sur le mariage homosexuel [il s’est prononcé pour «l’abrogation» de la loi Taubira, a fait entrer la Manif pour tous dans l’organigramme de l’UMP, ndlr], ou encore l’effet de radicalisation que ça a eu sur Xavier Bertrand. On l’a vu au Sénat, où le président du groupe UMP, Bruno Retailleau, est l’enfant chéri de cette droite conservatrice. Dans l’Ouest catholique, le catholicisme social perd du terrain au profit de cette frange.

Sylvain MOUILLARD