Bar gay saccagé à Lille : un an de prison requis

Au plus fort des manifestations contre le mariage pour tous, l’affaire avait fait grand bruit. Le 17 avril, trois hommes étaient accusés d’avoir agressé les deux cogérants et un employé d’un bar gay du Vieux Lille, le Vice & Versa, proférant, selon les plaignants, des insultes homophobes. Mercredi 4 septembre, le tribunal correctionnel de Lille jugeait pour violences en réunion et injures homophobes les trois accusés, qualifiés de skinheads dans la presse locale.

Après plus de cinq heures d’audience, difficile de savoir exactement ce qu’il s’est passé ce soir du 17 avril. Soucieuse de déconnecter les faits du contexte de la polémique sur le mariage gay, la défense a nié les injures homophobes et même une partie des coups portés aux trois victimes.

L’affaire semblait pourtant simple : une bande de jeunes de mouvance d’extrême droite débarquent dans un bar fréquenté par des homosexuels pour “casser du pédé”, selon un témoin. Une bagarre éclate. Trois employés du bar sont légèrement blessés, et les agresseurs, aux crânes rasés et portant des tatouages, sont interpellés un peu plus loin par la police.

Loin de cette version, la défense a entrepris de démontrer qu’il ne s’agissait que d’une banale rixe : “Douze mois de prison pour un tabouret lancé dans un bar, c’est un peu lourd”, ose Me Maxime Moulin, avocat de Flavien M.. Quelques minutes auparavant, la procureure Catherine Thomas avait de son côté vivement dénoncé l’attitude des trois prévenus :

“La haine, elle transpire dans ce dossier. Messieurs, vous manquez de courage et d’honnêteté intellectuelle.” Alors y a-t-il eu ou non agression homophobe au Vice & Versa, institution gay depuis quatorze ans ?

VERSIONS CONTRADICTOIRES

En cette belle soirée d’avril, vers 22 heures, les terrasses des bars sont bondées. Dans le centre ville de Lille, une manifestation anti-mariage pour tous bat son plein. Yohan M., Jean-Philippe B. et Flavien M. s’y rendent. Les trois jeunes Nordistes, âgés de 19 à 25 ans, partent ensuite dans le Vieux Lille, secteur prisé de la communauté gay.

Alcoolisés, deux d’entre eux entrent au Vice & Versa. “On essayait de retrouver ma copine dans le Vieux Lille. Mon portable était coupé. Je suis allé voir dans ce bar si elle y était”, explique Yohan M., chemise à carreaux et petite croix tatouée sous l’œil gauche.

Kévin, l’un des cogérants de l’établissement, fait état “d’un regard arrogant et haineux”. Il leur demande de sortir. C’est le début des versions contradictoires. Kévin explique à la barre que le ton monte : “Yohan M. m’a dit : ‘Espèce de sale pédé, regarde-moi si t’as des couilles'”. Une fois dehors, la bagarre éclate. Les clients se réfugient dans le café. “Je ne me suis pas battu, dit de sa voix monocorde Yohan M. Et je n’ai pas dit ‘sale pédé'”. Six témoins affirment pourtant que des injures homophobes ont été lancées.

SKIN, “UNE MODE VESTIMENTAIRE”

Le président du tribunal amène alors l’accusé sur le terrain politique en lui faisant reconnaître son engagement à l’extrême droite. “J’ai appartenu aux JNR [Jeunesses nationalistes révolutionnaires, un mouvement d’extrême droite dissous par le gouvernement le 10 juillet] mais je n’étais pas impliqué plus que ça, dit le prévenu au casier vierge de toute condamnation. Et quand j’allais au local des JNR, c’était surtout pour les amis. Il y a des têtes pensantes dans ce mouvement, mais, moi, je ne suis pas du tout là-dedans.”

Son ami Jean-Philippe B., 19 ans, qui était porteur d’une paire de gants coqués le soir de l’agression, donne sa définition du mouvement skinhead : “Skin, c’est une mode vestimentaire et de la musique spéciale”. “Pas plus que ça ?” demande le président, Mikael Simoens. “Non.” Mince, le visage crispé, ce jeune à l’enfance difficile, dont le beau-père écoutait des chants nazis, devra par ailleurs s’expliquer au tribunal la semaine prochaine dans le cadre d’une bagarre avec utilisation d’un poing américain.

Quant au troisième larron, Flavien M., marié, jeune père de famille, il ne reconnaît ni son appartenance à l’extrême droite, ni les insultes homophobes, ni les coups portés.

L’avocat des trois victimes enrage. Après plusieurs renvois et un placement provisoire en détention des trois prévenus du 19 avril au 3 mai, il s’insurge de voir le dossier réduit à une simple rixe. L’avocate de l’association de lutte contre les discriminations homophobes Lesbian and Gay Pride Lille va plus loin : “Ce n’est pas facile quand on a en face la lâcheté. On n’a pas su pourquoi vous les aviez agressés”, lance Faustine Broulin. Six témoins ont entendu les insultes homophobes. “Il faut dire les mots : c’est une ratonnade !”

La procureure a requis une peine d’un an de prison dont six mois assortis d’un sursis pour chacun des membres du trio. Verdict le 27 novembre.